Peut-on lire le climat dans les glaces ?
Peut-on lire le climat dans les glaces ?
Oui, grâce au thermomètre isotopique, le « must » de la paléoclimatologie. Le climat laisse des indices emprisonnés dans la glace que les scientifiques du projet EPICA, consortium européen de forage de glace en Antarctique (European Project for Ice Coring in Antorctica), lancé en 1995, ont pour mission d’interpréter.
Pour comprendre leur technique, rappelons-nous qu’à côté de l’hydrogène 1 et de l’oxygène 16, qui constituent la quasi-totalité des molécules d’eau, on rencontre aussi de l’hydrogène 2, ou deutérium, et de l’oxygène 18. Au cours des transferts entre atmosphère et océan qui jalonnent les glaciations, ces différents isotopes ne se comportent pas tout à fait de la même manière et la composition isotopique de l’eau fluctue.
Suivons un nuage qui s’est formé au-dessus de l’océan équatorial. Il est déjà moins riche en isotopes lourds que son milieu d’origine car l’évaporation des molécules légères est plus aisée. En migrant vers les pôles, la masse d’air se refroidit et se condense en donnant des précipitations. Les molécules les plus lourdes tombant plus facilement, le nuage s’allège de plus en plus en isotopes lourds, subissant une véritable distillation.
La ségrégation isotopique se poursuit et, quand la masse d’eau atteint les pôles, les neiges qui tombent sont considérablement plus pauvres en oxygène 18 et en deutérium que l’océan dont elles proviennent. Le fractionnement isotopique entre les deux grands réservoirs que constituent l’atmosphère et l’océan augmente lorsqu’il fait froid, pour deux raisons.
Lorsque l’eau est chaude, l’agitation thermique est suffisante pour arracher à la phase liquide toutes les molécules, lourdes ou légères. Dans le cas d’une eau froide, moins de molécules lourdes parviennent à s’échapper et les nuages formés se trouvent encore plus appauvris en deutérium et oxygène 18. Par ailleurs, en période glaciaire, froide, les précipitations surviennent plus tôt et l’eau qui arrive aux pôles est d’autant plus allégée en deutérium et en oxygène 18 que la température est basse. En période chaude, au contraire, les précipitations surviennent plus tard et le déficit en isotopes lourds est moins net.
La relation entre abondance ou déficit en deutérium ou oxygène 18 de la glace polaire permet de reconstituer les températures du passé. Les neiges sont isotopiquement plus lourdes sous un climat plus chaud. Les mesures du rapport D/H sont réalisées à partir de spectromètres de masse sur des carottes de glace découpées en tranches d’une cinquantaine de centimètres de long.
On privilégiait au départ les analyses isotopiques en éléments légers, du fait de leurs plus grandes différences relatives de masse. L’évolution des techniques permet à présent de travailler aussi bien sur l’oxygène que sur l’hydrogène. La corrélation entre les deux types de mesure est excellente.
Le procédé est couramment utilisé pour reconstituer les fluctuations climatiques des 800 000 dernières années. Les mesures dans la glace sont croisées avec des mesures de même type réalisées sur les carottes sédimentaires, par analyse de l’oxygène de la calcite des coquilles de foraminifères prélevées dans les fonds marins. La courbe des températures de l’Antarctique, obtenue sur le site du Dôme Concordia (le fameux Dôme C), grâce à des prélèvements effectués à 3 190 mètres de profondeur, à 200 mètres du socle rocheux, présente une alternance globale des périodes glaciaires et chaudes tous les 100 000 ans.
À ces tendances générales se superposent des fluctuations plus fines. Le déchiffrage des archives glaciaires a confirmé, en première approximation du moins, l’existence des cycles dits de Milankovitch. Cet astronome yougoslave (1878-1958) est le père d’une théorie des changements climatiques, corrélant les rythmes glaciaires-interglaciaires de l’ère quaternaire à des paramètres astronomiques.
Échafaudée à partir de 1911, âprement contestée, elle ne s’imposera que dans les années 1970. Les variations de la distance du Soleil à la Terre occasionnées par les déformations de son orbite et les modifications de l’inclinaison de l’axe des pôles affectent de manière périodique l’ensoleillement reçu par notre planète et donc les changements de saison. Si l’orbite de la Terre est quasi circulaire et son axe peu incliné, il en résulte un faible ensoleillement en été aux hautes latitudes et les glaciers vont persister, réfléchissant le rayonnement solaire.
Le faible contraste saisonnier crée une configuration favorable à l’apparition d’une période glaciaire. Si, au contraire, l’orbite de la Terre est fortement elliptique et que l’axe des pôles est fortement incliné, le contraste saisonnier est plus grand, facteur propice à l’apparition d’une période interglaciaire.
Depuis 12 000 ans, fin de la dernière grande glaciation, nous vivons dans une période particulièrement clémente, qui a permis aux sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs de se sédentariser et de développer l’agriculture, expliquant le passage du paléolithique au néolithique. Mais, selon les théories de Milankovitch, le retour des glaces est prévu d’ici quelques dizaines de milliers d’années.
L’analyse des bulles d’air fossilisées dans la glace livre, quant à elle, de précieuses indications sur la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, méthane et gaz carbonique principalement. On voit que lorsqu’il y a eu augmentation de température, il y a eu augmentation de dioxyde de carbone. Les teneurs des gaz à effet de serre se raccordent aux mesures directes dans l’air.
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