Socialité et sexualité dans le monde animal
Certain auteurs considèrent déjà comme un phénomène social la réunion de deux individus à des fins de reproduction, ce qui équivaut à considérer comme sociales la plupart des espèces vivantes de la biosphère, puisque la plupart d’entre elles usent d’un mode de reproduction sexué.
Pour ces auteurs, tout comportement sexuel impliquant au moins deux individus est donc d’essence sociale. L’ouvrage classique de N. Tinbergen (1964) consacré au comportement social des animaux, et qui traite essentiellement de comportements reproducteurs est symptomatique de cette tendance.
Pourtant, la différence de nature entre comportement sexuel et comportement social semble évidente, à la lumière des quelques faits qui suivent.
Les groupes sociaux sans activité reproductrice:
Certains groupes peuvent se maintenir et se perpétuer en l’absence d’individus sexués reproducteurs, tout en conservant leur caractère social. Ainsi, chez les termites, si, pour une raison ou une autre, le «roi» et la «reine» (c’est-à-dire les deux individus reproducteurs) disparaissent, la termitière reste identique à elle-même dans ses diverses activités. Il en va de même chez les fourmis ou les abeilles : la mort de la reine n’entraîne en aucun cas la dissociation de la colonie.
Certaines sociétés d’insectes sont unisexuées: les bandes sont sociales et constituées d’individus de même sexe; c’est le cas chez certains hyménoptères (Torymus auratus). Quant aux rassemblements de sommeil des bourdons, ils ne comprennent que des mâles. Chez les vertébrés, on connaît de nombreuses espèces regroupant des bandes d’individus d’un seul sexe. C’est le cas de beaucoup d’ongulés, tels les biches, les chamois, les mouflons ou les bouquetins. Les ânes de Nubie, les zèbres de Grévy ou les éléphants d’Afrique vivent en troupeaux composés uniquement de femelles et de jeunes, avec une femelle dominante. Les mâles peuvent être solitaires ou bien se constituer, eux aussi, en troupeaux. Par ailleurs, les cas de mâles exclus de la reproduction sont assez courants : chez certains babouins, ils suivent tout simplement, à l’écart, les autres individus de la société.
Les limites sociales du phénomène sexuel:
La formation d’un couple est le plus souvent temporaire, alors que l’appétition sociale est durable et permanente. Chez les hyménoptères, le mâle meurt peu de temps après l’accouplement. Le seul fait qu’il n’existe aucune sexualité dans la ruche ou la fourmilière montre bien à quel point les deux phénomènes, sexuel et social, peuvent être d’essence différente.
De plus, c’est précisément au moment de la reproduction que de nombreux groupes de vertébrés se dissocient pour adopter une vie territoriale de couples isolés. Les poissons cichlidés deviennent territoriaux au printemps, période de la reproduction : les mâles abandonnent leur vie sociale, quittant leurs bancs pour établir des territoires où ils attirent les femelles afin de frayer. La reproduction est aussi un moment de dissolution des bandes chez beaucoup d’oiseaux.
« Odeurs » sociales et « odeurs » sexuelles:
Ces dernières années, de nombreux travaux ont montré que les phéromones, substances chimiques responsables de l’attraction sexuelle, différaient des substances responsables des phénomènes sociaux. Les «odeurs» sociales, induisant l’attraction sociale, et les « odeurs » sexuelles, induisant l’attraction sexuelle, ne sont pas produites par les mêmes organes. Elles sont donc sécrétées par des glandes spéciales.
Ainsi, chez les blattes grégaires, la phéromone sociale est sécrétée par les glandes mandibulaires, alors que la phéromone sexuelle provient des glandes tergales. De plus, dans quelques cas, on a pu montrer que les organes de réception des substances de communication olfactive sont également différents. Chaque antenne de ces blattes est dotée de quelque 150 000 sensilles, neurones terminaux sensibles : l’odeur sociale et l’odeur sexuelle sont captées par des sensilles différentes.