Les autres fibres naturelles végétales : Le chanvre
Le chanvre
Le chanvre, comme le lin, est l’une des plantes les plus anciennement connues. Les premiers témoignages de son utilisation datent de – 4700 ans en Chine, puis vers – 3000 ans dans le Turkestan. Il est originaire d’Asie centrale, plus particulièrement des versants himalayens de l’Inde. La plante s’est ensuite propagée vers l’Est, en Chine et dans l’ensemble du continent sud-indien, et vers l’Ouest grâce à la migration des Scythes. Le chanvre atteint ainsi le Moyen-Orient, le Bassin méditerranéen puis toute l’Europe, avant de gagner l’Afrique grâce aux conquêtes arabes, puis l’Amérique par les conquêtes espagnoles. Au cours des siècles, le chanvre sera utilisé par l’homme à des fins diverses et variées: textiles (fibres transformées en fils, cordages et tissus), alimentaire (huile extraite de ses graines), thérapeutique et «récréative» (la résine extraite de ses sommités florales contient une substance psychotrope).
En France et dans toute l’Europe méridionale, la culture du chanvre a connu un grand développement depuis le Moyen Âge jusqu’au xixe siècle. Sa fibre robuste et très solide rendait possible la fabrication de toiles, de tissus résistants, de cordages et filets. Son âge d’or se situe aux temps de la marine à voile, aux xvne et xvme siècles, lorsque cordages et voiles étaient constitués de chanvre: les besoins en cordages sont considérables puisqu’un vaisseau de 74 canons en nécessite 84 tonnes, cordages qui doivent être souvent renouvelés. La fabrication, d’abord artisanale, devient industrielle; un bel exemple en est donné par la Corderie royale de Rochefort créée par Colbert en 1665 et récemment restaurée. En 1840, en France, les chènevières (champs de chanvre) couvrent environ 176000 hectares, mais, à la fin du xixe siècle et au xxesiècle, la culture du chanvre, victime du progrès, subit un fort déclin : disparition de la marine à voile, concurrence avec les nouvelles fibres textiles (coton puis fibres chimiques), manque de main-d’œuvre pour les tâches difficiles de sa transformation. Presque disparue dans les années i960, cette culture subit actuellement un renouveau dans le centre ouest (Sarthe) et le centre est (Aube) et est en grande partie dirigée vers la fabrication de papiers spécifiques. Comme le lin, le chanvre est à l’origine de noms de notre vocabulaire : chènevière, cannebière, canevas, chènevis…
La plante et sa culture
Le chanvre est une dicotylédone appartenant à l’ordre des rosales, de la famille des cannabacées, genre Cannabis. C’est une plante voisine du houblon et de l’ortie blanche.
Elle est dioïque, c’est-à-dire qu’elle possède des pieds mâles et des pieds femelles séparés (de canna et bis, «deux tiges»); toutefois, des variétés monoïques (fleurs des deux sexes sur un même pied) ont été sélectionnées pour la culture. L’espèce cultivée est Cannabis sativa L. dont on distingue deux variétés: Cannabis sativa L. var. vuigaris, ou chanvre à fibres, que l’on trouve dans les régions tempérées et d’où l’on extrait les fibres textiles; Cannabis sativa L. var. indica, ou chanvre à drogue, que l’on trouve dans les régions tropicales ou subtropicales et d’où l’on extrait la résine.
La plante est annuelle et herbacée. La racine est pivotante et le système racinaire très développé. La tige, dressée et ramifiée, rigide, au toucher rugueux dû à la présence de poils, peut atteindre 2 à 4 m de hauteur, parfois plus. Les feuilles sont opposées et découpées. Celles de la partie inférieure et médiane sont formées de 5 à 11 segments élancés et dentés. Les feuilles de la partie supérieure sont simples ou faiblement divisées (moins de 3 segments).
Dans les espèces dioïques, les pieds mâles sont plus grêles et moins robustes que les pieds femelles et perdent leurs feuilles après la floraison. Les fleurs, unisexuées, sont portées par les pieds mâles ou femelles et n’arrivent pas à maturité en même temps. Les fleurs mâles sont groupées en
panicules lâches et peu voyants; elles sont formées d’un périanthe de 5 sépales et de 5 étamines libres opposées aux sépales. Les fleurs femelles sont groupées en cymes compactes; elles sont formées d’un périanthe en forme de coupe entourant un ovaire à 2 carpelles. Le fruit contenant une seule loge et une seule graine est un akène de 3 à 6 mm. Ces graines constituent le chènevis utilisé pour l’alimentation des oiseaux.
Les deux variétés contiennent dans leurs feuilles et leurs inflorescences femelles une substance psychotrope, le tétra- hydrocannabinol (THC), dont la teneur varie de < 0,3 % pour les variétés à fibres à 15 % pour les variétés à drogue.
Le chanvre à fibres est cultivé en zone tempérée, en Europe de l’Ouest et de l’Est et en Asie. En France, la surface cultivée représente une superficie de 10000 hectares environ, répartie dans les régions du Mans et de Troyes. Aujourd’hui, en France et dans certains pays de l’Europe de l’Est, les variétés dioïques sont remplacées par des variétés monoïques, qui sont constituées de plantes à port femelle ; mesurant environ 2 m, celles-ci possèdent une majorité de fleurs femelles (90 à 95 %) à l’extrémité de l’inflorescence, tandis que les fleurs mâles sont disposées vers le bas et le milieu. Les variétés monoïques présentent plusieurs avantages : elles produisent des graines sur toutes les tiges ; ces dernières sont plus robustes, plus homogènes et produisent plus de fibres; les plantes arrivent à maturité en même temps, ce qui facilite les récoltes.
Le chanvre est une plante de jours courts. Les différents types cultivés (ou cultivars) sont adaptés en fonction de leur propre réaction photopériodique. En France, les cultivars ont une période végétative de 100-120 jours. Les semis se font en général fin avril, selon une densité de 250 à 300 pieds par mètre carré, équivalant à 50 kg de graines à l’hectare. Les sols les plus favorables sont les terres profondes possédant des réserves minérales et organiques importantes, mais le chanvre peut pousser dans toutes les conditions sauf sur les terres trop humides. C’est une plante étouffante qui couvre efficacement le sol grâce à la vigueur et à la rapidité de sa croissance. Elle ne nécessite pas de désherbage chimique et est très peu attaquée par les parasites. Sa culture enrichit le sol et respecte l’environnement. Le chanvre est considéré comme une excellente tête de rotation, car il laisse une terre propre et saine. Il est cultivé en alternance avec les céréales, blé et maïs, par exemple.
La récolte se fait selon deux modalités, « battue» ou « non battue». La récolte battue, qui a lieu fin septembre lorsque les capsules sont mûres, recueille à la fois la paille et les graines (chènevis). La récolte non battue, entre août et début septembre, ne ramasse que la paille, et les graines non encore matures sont éliminées. Dans ce second cas, le chanvre est fauché ou arraché à la fin de la floraison et est laissé sur le sol, sous forme d’andains, plusieurs jours pour séchage, voire plus longtemps si un rouissage est pratiqué. Dans le cas de la récolte battue, on obtient 6 à 8 tonnes de paille sèche et 6 à 10 quintaux de chènevis à l’hectare, dans le cas de la récolte non battue, la production en paille est plus élevée, de 7 à 9 tonnes à l’hectare et la manipulation moins importante.
La culture du chanvre est soumise actuellement en France à une législation stricte : seule l’utilisation de semences certifiées dont le taux de THC est < 0,3% est autorisée. La production de graines est réglementée et soumise à un contrôle officiel très strict; aucun approvisionnement extérieur n’est possible. L’ensemble de ces contrôles est assuré par des organismes précis (Coopérative centrale des producteurs de semences de chanvre, Comité économique agricole de la production de chanvre, par exemple).
La fibre, localisation et caractéristiques
Les fibres de chanvre sont localisées dans la tige. Elles forment une couronne de faisceaux situés à la périphérie de la tige, entre l’écorce et les tissus conducteurs; on les trouve à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du phloème (faisceaux périphloémiens et intraphloémiens). Chaque faisceau comporte de 10 à 30 fibres élémentaires. Selon les variétés de chanvre, le nombre de fibres par faisceau et leur finesse changent. Celles-ci ont des extrémités soit lancéolées, soit en spatule et présentent une section polygonale. Elles mesurent de 1 à 4 cm de longueur et de 10 à 50 |jm de diamètre. Comme pour le lin, ces cellules sont mortes à maturité et possèdent une paroi épaisse cellulosique. Elles sont liées entre elles par les lamelles moyennes qui contiennent non seulement des pectines mais aussi des lignines (de 4 à 10 %), assurant ainsi une cohésion intercellulaire forte.
Le développement de la fibre passe par une phase d’élongation et une phase de remplissage donnant naissance à une paroi secondaire épaisse riche en cellulose (67%). Les microfibrilles de cellulose ont une cristallinité assez élevée. Elles sont disposées dans les parois en trois strates, comme dans les parois de fibres de lin ou du bois (voir fig. 164). Les fibres du chanvre possèdent des propriétés communes aux fibres naturelles cellulosiques: creuses et légères, très résistantes et absorbantes. La présence de lignines confère aux fibres une solidité plus grande que celles du lin, mais une moins grande souplesse, donnant un toucher plus rêche et rustique.
De la plante à la fibre
Après la récolte et le battage, le chanvre subit une suite de transformations permettant la récupération des fibres. Jusque dans les années 1950,
le chanvre subissait un rouissage qui séparait progressivement les fibres à usage textile par l’action fermentescible de micro-organismes. Le rouissage à l’eau stagnante ou courante, qui conduisait à une pollution des mares et des rivières, a laissé place au rouissage sur champs. Le rouissage était suivi par un séchage dans des fours à chanvre, ronds ou carrés, encore visibles dans certaines régions comme la Mayenne.
Ensuite, les tiges séchées étaient broyées à l’aide de maillets appelés « broies », ou teillées à la main puis peignées longuement, avec des peignes aux dents plus ou moins serrées, de façon à isoler la filasse (ensemble des fibres longues) de la chènevotte (anas ou débris ligneux). On récupérait aussi des étoupes ou fibres courtes.
Actuellement, on pratique soit un défibrage à sec, soit un rouissage accéléré en atelier, de nature chimique ou enzymatique. La présence de lignines rend le rouissage plus difficile et plus hétérogène et la fibre plus rugueuse. Les variétés dont les fibres sont fines, peu lignifiées et peu nombreuses par faisceaux, permettent un meilleur rouissage et des utilisations textiles comparables à celles du lin. À l’opposé, les variétés à fibres plus épaisses et plus lignifiées, sont recherchées en corderie pour leur solidité.
Utilisations du chanvre et débouchés
Les usages textiles étaient principalement la corderie et le tissage. Ouasi abandonnés en France, à part dans quelques exploitations artisanales, ils sont toujours pratiqués dans les pays d’Europe de l’Est où les débouchés sont l’habillement. Les utilisations en corderie ont été supplantées par d’autres fibres, en particulier les fibres synthétiques moins onéreuses et d’obtention plus facile.
L’un des principaux débouchés actuels est l’industrie papetière, pour la fabrication de papiers fins et résistants.
Dans ce cas, le rouissage est inutile et on récupère par défibrage la filasse et les étoupes. La longueur des fibres et leur faible taux de lignine sont très appréciés dans la confection de certains papiers (papiers à cigarette, papiers filtre), car cela permet de limiter les taux de pollution liés à l’extraction des lignines.
La chènevotte, ou partie ligneuse de la tige, longtemps considérée comme un sous-produit, est maintenant utilisée pour ses propriétés d’absorption et de légèreté dans la confection de litières pour animaux et de panneaux de particules (isolation phonique et thermique) dans l’industrie du bâtiment et les habillages automobiles, où elle est mélangée avec l’étoupe.
Les graines, ou chènevis, sont utilisées pour l’huile dont la teneur en acides y-linoléiques lui donne de bonnes qualités alimentaires. L’huile de chanvre est aussi utilisée dans les peintures industrielles, vernis, lubrifiant mais aussi en cosmétique (crèmes, shampoings, savons doux…). Enfin, le chènevis constitue une alimentation en oisellerie.
La résine contenant le cannabinol est utilisée comme drogue (haschisch, marijuana, herbe, joint…) pour ses effets psychotropes et euphorisants (produit illicite dans de nombreux pays, dont la France et les États-Unis), mais aussi en thérapeutique pour ses effets analgésiques.
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