Les fibres naturelles animales : La soie
Les fibres textiles d’origine animale sont principalement de nature protéique. Les plus connues sont la laine et la soie. On distingue deux ensembles: les fibres provenant de poils de certains mammifères et les soies filées par les insectes et les araignées.
La soie
La soie, filée par le ver à soie ou bombyx du mûrier, est « l’étoffe dont on fait les rêves » (M. Baum et C. Boyeldieu, 2002). C’est une fibre unique par ses qualités naturelles qui en font un produit de luxe et d’exception. Originaire de Chine, elle est connue depuis 3000 ans. De nombreuses légendes relatent sa découverte. Dans l’une d’entre elles, tirée du Livre des Odes de Confucius, la princesse Xi Ling Chi, dégustant son thé à l’ombre d’un mûrier, découvre un cocon au fond de sa tasse. Grâce à la chaleur du liquide, le cocon se ramollit et la princesse peut dérouler un fil d’une extrême finesse et d’une grande douceur. Les Chinois ont gardé jalousement le secret pendant trois millénaires, mais au hasard des conquêtes et du commerce, la sériciculture s’étend au Japon, à l’Asie centrale, à la Perse et à l’Arabie. C’est la route de la Soie, véritable lieu d’échanges commerciaux et culturels, qui sera aussi à l’origine de la connaissance par l’Europe du papier. Ce n’est qu’au vme siècle qu’elle pénètre en Europe par la Sicile et l’Espagne. Au xne siècle, Grégoire X, pape en Avignon, introduit la culture du mûrier et du ver à soie dans le Sud de la France. L’industrie prospère sous les règnes de François Ier et Henri IV qui favorisent son essor par l’introduction d’immenses quantités d’œufs de bombyx et la plantation de milliers de mûriers, notamment dans les Cévennes. Lyon devient un centre important de commerce et de fabrication. L’apogée est atteint au début du xvme siècle, mais, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, divers événements contribuent au déclin de la sériciculture en France: la maladie du ver à soie, ou pébrine, l’ouverture du canal de Suez qui permet un approvisionnement moins onéreux des soies d’Orient, le développement des fibres chimiques.
La fibre: origine, structure et propriétés
La soie sensu stricto est synthétisée par le ver à soie qui est la larve, ou chenille, d’un insecte lépidoptère, le Bombyx mori ou bombyx du mûrier.
Les fils de soie ou «bave» sont sécrétés par les larves du papillon au moment de leur métamorphose, et plus particulièrement lors de la formation du cocon puisque, à ce moment, la soie sécrétée représente de 15 à 25 % du poids de l’animal. La soie est sécrétée par des glandes séricigènes qui sont des glandes salivaires modifiées. Elles représentent environ un quart du poids de la chenille et sont formées de deux tubes sécréteurs et d’un tube excréteur, ou tube collecteur, qui se termine lui-même par une filière.
Chaque tube sécréteur synthétise un brin de soie de nature protéique, formé principalement de fibroïne. La synthèse s’effectue dans des cellules sécrétrices géantes et polyploïdes qui possèdent chacune un million de copies du même gène. Ce gène a une activité très intense et permet la formation d’un milliard de molécules de fibroïne en quatre jours. L’ensemble des cellules de la glande synthétise pendant cette période environ 300 (ug de fibroïne, soit cent mille pillards (1015) de molécules. La fibroïne est sécrétée hors de la cellule (excrétée) dans le canal de chaque tube sécréteur et forme un fin filament qui circule lentement.
Dans la partie haute du tube sécréteur, chaque filament de fibroïne est enrobé de séricine, protéine visqueuse qui forme le grès. Arrivés dans le tube excréteur, les deux filaments ou brins sont réunis et forment la «bave» qui traverse ensuite une région particulière, la presse, puis la filière. Pendant ce cheminement, la fibroïne subit d’importantes modifications: la viscosité s’accroît et la bave passe d’une structure amorphe à une structure cristalline liquide grâce à la fois à la tension provoquée par les mouvements ondulatoires de la tête de la larve et à la compression par les muscles de la presse. Les forces de cisaillement qui en résultent permettent aux molécules de fibroïne de s’orienter parallèlement les unes aux autres ce qui donne naissance, lors de l’extrusion, à une fibre insoluble, solidifiée et déshydratée, le fil de soie. Celui-ci peut mesurer de 700 à 1 500 m de long et 20 à 40 um de large dans sa plus grande section. Il s’agit d’un fil de soie grège contenant environ 75 % de fibroïne et 25 % de séricine.
Il existe d’autres types de soie sécrétés par différentes espèces de bombyx mais aussi par de nombreuses espèces d’araignées dont plusieurs appartiennent au genre Epeira. Ces soies «sauvages» sont peu exploitées dans l’industrie textile, car produites en quantités insuffisantes en raison des difficultés d’élevage.
Les caractéristiques de la soie sont une grande finesse, la douceur et la légèreté (1 000 m de fil pèsent environ 0,3 g), une grande résistance comparable à un fil d’acier (la charge de rupture est de l’ordre de 30 à 55 cN/tex), une bonne flexibilité et une bonne élasticité, un fort pouvoir absorbant, une brillance et un chatoiement particulier à la lumière. Nous allons voir que ces propriétés résultent à la fois de la structure chimique des molécules de fibroïne et de la structure physique du fil de soie, c’est- à-dire de l’assemblage de ces molécules entre elles.
Un assemblage de molécules La fibroïne est une protéine fibreuse proche des kératines. La structure primaire est constituée à 75% par deux acides
aminés, la glycine (Gly) à 45% et l’alanine (Ala) à 30%. La sérine (Ser) est aussi très abondante (12 %). Le motif de base de ce polymère est le suivant : Gly-Ala-Gly-Ala-Gly-Ser répété de nombreuses fois. La fréquence et la régularité de ces motifs conduisent à la formation d’une structure secondaire en feuillets Ces feuillets antiparallèles forment des nappes qui s’empilent, glycine contre glycine et alanine/sérine contre alanine/sérine.
À côté de cette structure régulière, il existe des zones à repliement aléatoire constituées de séquences en acides aminés différents du motif de base, comme la tyrosine, qui ne permettent pas l’établissement de feuillets. La soie, assemblage de molécules de fibroïne, est une matière composite constituée de domaines cristallins formés de feuillets et de domaines amorphes correspondant aux repliements aléatoires.
Des propriétés variées. L’ensemble de cette structure est à l’origine des propriétés d’hydrophilie, de résistance, de flexibilité et d’élasticité de la soie. Sa nature protéique lui donne ses caractères d’hydrophilie offrant un bon pouvoir absorbant et une teinture aisée. Cette propriété est utilisée aussi pour «charger» la soie, par absorption de sels métalliques. Cependant, les protéines étant sensibles à la chaleur et à l’action des agents chimiques (acides, bases, chlore…), la fibre de soie est difficile à entretenir: ces divers traitements risquent d’altérer son aspect. La soie est solide; sa résistance mécanique est due aux liaisons covalentes entre les acides aminés et à l’existence des domaines cristallins. En effet, l’alignement des molécules de fibroïne au moment du passage dans la-filière de l’animal renforce la cohésion de l’ensemble des molécules et leur résistance en créant des zones cristallines. Les forces de liaisons entre feuillets sont faibles et permettent un certain glissement à l’origine de la flexibilité de la molécule. Cependant, la fibroïne a une extensibilité limitée au niveau des feuillets car leur conformation est dans un état d’extension presque maximale. L’élasticité des soies est due à l’existence des domaines amorphes, elle est donctrès variable selon la proportion relative des zones amorphes et cristallines, mais elle est en moyenne de 15%. Cette bonne élasticité explique la propriété d’infroissabilité de la soie.
Sériciculture et mariculture
La sériciculture est l’élevage, ou « éducation », du ver à soie et se pratique soit dans des magnaneries, soit de manière artisanale selon les pays.
Après l’accouplement, la femelle du bombyx pond environ 600 œufs, ou « graines », de petite taille (de l’ordre du millimètre). Les œufs peuvent être conservés plusieurs mois à basse température, celle-ci bloquant le développement embryonnaire. Pour éclore, ils doivent subir un réchauffement progressif de 14 à 20 °C, pendant une quinzaine de jours, puis être couvés artificiellement dans des chambres où la température varie de 20 à 23 °C. Après vingt-cinq à trente jours, les vers ou chenilles éclosent et mesurent environ 2 à 3 mm. Il est nécessaire que l’éclosion des œufs corresponde à la période de foliation des mûriers, les vers ne se nourrissant que de leurs feuilles. Ils s’accrochent aux feuilles fraîchement cueillies qui leur sont fournies dans des claies quadrillées. La chenille, très vorace, grossit rapidement. La période de croissance s’étend sur environ trente jours et comporte quatre mues larvaires au cours desquelles la chenille passe de 0,5 mg et 2-3 mm à 5 g et 5-7 cm, ce qui représente une multiplication du poids par 10 000 I Pendant toute cette période, les chenilles sont nourries quatre fois par jour. Une once de graines (correspondant à 25-30 g ou 40 000 œufs) consomme près de 1400 kg de feuilles pendant le premier âge, soit une dizaine de jours entre l’éclosion et la première mue. Cette consommation considérable montre les contraintes qu’elle implique au niveau de la culture des mûriers.
Après la dernière mue larvaire, la chenille ralentit son activité et ne s’alimente plus; elle s’installe pour filer son cocon. On lui fournit des rameaux de bruyère, genêt ou bouleau disposés en arceaux et sur lesquels l’animal s’accroche en sécrétant une bave filamenteuse. La construction du cocon dure deux à trois jours. Elle s’effectue de l’extérieur vers l’intérieur et comporte une trentaine de couches d’un même fil de soie long de 700 à i 500 m. L’enroulement du fil se fait régulièrement par les torsions du ver qui décrit inlassablement un parcours en huit. À l’intérieur du cocon, l’insecte subit pendant quinze à vingt jours une mue nymphale et une mue imagínale, qui le transforment successivement en chrysalide puis en papillon. Celui-ci se libère de son cocon en le perçant et, dès l’éclosion, mâle et femelle s’accouplent, donnant naissance à un nouveau cycle. Les cocons percés ne sont pas dévidables et restent inutilisables pour la filature. Aussi arrête-t-on le développement de l’insecte par étouffage quelques jours avant l’éclosion pour récupérer des cocons intacts.
Vu la consommation énorme de feuilles par les chenilles des magnaneries, la culture du mûrier, ou mariculture, doit s’effectuer parallèlement à la sériciculture et de façon synchrone. Le mûrier le plus utilisé est le mûrier blanc (Morus alba) de la famille des moracées proche des urticacées. Le mûrier est un arbre à grandes feuilles simples, d’origine orientale, vivant dans les régions tempérées ou tropicales. On en trouve en France, notamment dans les Cévennes où la culture a connu un grand développement jusqu’au xixe siècle. Les arbres cultivés pour la sériciculture sont taillés en «têtard », de façon à limiter leur hauteur et faciliter la récolte des feuilles.
D’autres mûriers peuvent être utilisés, notamment le mûrier noir (Morus nigra), mais la soie obtenue est moins belle.
Du cocon au fil de soie
Le cocon est formé d’un fil homogène et continu. Pour passer du cocon au fil de soie, il ne s’agit pas de filature proprement dite, mais d’un dévidage suivi d’un assemblage. L’ensemble s’effectue selon différentes étapes.
L’étouffage des cocons permet de stopper le développement du papillon avant l’éclosion. Pour cela, les cocons sont soumis à l’action de l’air chaud ou de la vapeur d’eau à environ à 80 °C ou d’un gaz toxique.
Le triage des cocons consiste à éliminer les cocons défectueux, percés, tachés ou imparfaitement filés.
Le trempage dans l’eau chaude ramollit le grès des cocons et permet de dégager l’extrémité du fil.
Le décoconnage et le battage des cocons par de petites brosses dans un bain d’eau chaude permettent d’éliminer les premières couches et de tirer l’extrémité du fil du cocon sur une longueur suffisante pour le dévidage.
Le dévidage permet de grouper plusieurs fils tirés simultanément (de 6 à 10 cocons). Ces fils sont réunis sans subir de torsion et donnent un fil de soie grège soudé par le grès. Cette étape délicate doit donner un fil homogène. Les fils sont ensuite conditionnés sous forme d’écheveaux.
Le moulinage et l’ouvraison permettent de régulariser le fil, d’augmenter sa résistance et de changer son aspect en lui donnant une torsion et un apprêt. Pour ce faire, les fils de soie grège sont préalablement mouillés afin de les rendre plus souples ; ils sont débarrassés de leurs impuretés. Plusieurs fils sont réunis pendant les opérations de doublage, puis ils subissent une torsion qui s’effectue sous tension sur des machines appelées moulins.
Le décreusage consiste à éliminer le grès qui enrobe les fils. En effet, pour obtenir de la soie brillante et lustrée, il faut éliminer la séricine. Cette opération est pratiquée par des bains d’eau savonneuse tiède. Après décreusage, la soie perd environ 25% de son poids et 20 % de son volume. Le fil obtenu est souple, doux et brillant. L’opération qui consiste à charger la soie avec des sels métalliques tels le plomb ou l’étain permet de compenser le poids perdu au décreusage et confère aux étoffes en soie un «tombant» et « une main » caractéristiques.
Utilisations et débouchés
La production de soie à l’échelle mondiale est de l’ordre de 0,2% de l’ensemble des fibres textiles, ce qui est infime. La soie reste un produit de luxe et d’exception, car son prix de revient est élevé.
La production de soie grège issue de l’élevage était de 90 000 tonnes en 1999. Les principaux pays producteurs sont la Chine avec 60000 tonnes, l’Inde avec 15 000 tonnes, le Japon avec 5000 tonnes, la CEI avec 4000 tonnes, le Brésil avec 2200 tonnes, la Corée, la Thaïlande et le Vietnam totalisant à eux trois 3 700 tonnes. Les grands marchés sont situés à Shanghai, Canton, Milan et Lyon. La Chine est le principal fournisseur de soie grège et de fils de soie sur les marchés occidentaux. Jusqu’aux années 1980, les produits finis à forte valeur ajoutée provenaient en grande partie de la fabrication européenne, mais, actuellement, ils sont produits par les pays en voie de développement où la main-d’œuvre est bon marché.
La soie est utilisée sous forme de fils à coudre ou à broder de différentes grosseurs. Elle est utilisée aussi en passementerie pour la confection de rubans, cordonnets, galons, franges ainsi que dans la fabrication d’étoffes ou «soieries» à usages variés: lingerie, corseterie, couture et haute couture (robes, doublures, vestes, blousons…), tissus d’ameublement, tissus de parapluies, ornements d’église. La soie peut être mélangée à des fibres de luxe, comme l’alpaga ou le cachemire.
L’utilisation du mot « soie » est interdite pour toute matière autre que le fil d’insecte ; les appellations « soie artificielle » ou « soie synthétique » sont illégales. Les tissus ou articles finis peuvent être étiquetés comme « pure soie » (100 % de soie), « soie » (85 % minimum), « soie mélangée » (50 % de soie). La « soie sauvage », telle la soie tussah, est produite par des chenilles non domestiquées vivant le plus souvent sur des chênes. Dans ce cas, les cocons sont la plupart du temps percés, ce qui donne un fil moins fin et plus irrégulier. Les déchets de la soie provenant de cocons imparfaits ou des opérations de dévidage et de filature (frisons, blaze) donnent des fils utilisés pour la confection de tissus appelés shappe, bourette, doubions. Ils sont utilisés en mode, couture, ameublement et passementerie.
Vidéo : Les fibres naturelles animales : La soie
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