Les rythmes humains
Comme tous les êtres vivants, l’homme naît avec le temps installé en lui. Le temps rythme la vie humaine dès la conception : un mouvement ondulatoire parcourt l’œuf dès sa fécondation. Chacun de nous peut d’ailleurs le constater dans la vie de tous les jours : nos fonctions vitales essentielles sont soumises à des rythmes, donc programmées dans le temps. Celui du sommeil, bien entendu, nous allons le voir en détail un peu plus loin, mais aussi celui des battements du cœur ou de la respiration, de la libération des hormones à des moments bien précis. Chez l’embryon, le cœur commence à battre dès le vingt-deuxième jour. La température est à son plus haut niveau dans la journée, et à son plus bas dans la nuit, c’est pourquoi il nous arrive de frissonner à 4 heures du matin. Le pouls, qui traduit l’activité du cœur, suit la courbe de température. L’activité des reins est également rythmée, la production d’urine est plus faible la nuit, ce qui est bien pratique. La tension artérielle s’élève au cours de la journée et s’abaisse la nuit. La majorité des naissances se produisent entre 3 et 9 heures. Le maximum des activités physiques et psychiques se situe naturellement dans la journée, celui des glandes productrices d’hormones pendant la nuit. Nous avons non seulement une morphologie dans l’espace, c’est- à-dire la forme bien précise de notre corps, mais aussi une morphologie dans le temps, dit le spécialiste français des rythmes humains, le Dr Alain Reinberg. L’organisme humain ne sait pas faire n’importe quoi n’importe quand.
Comme c’est le cas pour tous les êtres vivants, les rythmes humains sont donc nombreux, et leurs cadences variées. Les cellules nerveuses de notre cerveau sont le siège d’une activité électrique qui bat au millionième de seconde, ce que l’on détecte aisément en plaçant des électrodes sur le crâne pendant un électroencéphalogramme. On s’est aperçu que ces rythmes sont différents suivant l’activité du cerveau. Des charlatans ont cherché à exploiter la crédulité des naïfs, en laissant croire qu’il était possible d agir sur l’un des rythmes du cerveau, baptisé « alpha » et qui serait lié à la méditation. En enregistrant l’activité électrique du cerveau, en identifiant ce rythme alpha, puis en s efforçant de l’amplifier, ces charlatans promettaient d’obtenir le même résultat que des moines tibétains après vingt ans de méditations actives. Dans les années 1970, un éminent spécialiste de ces problèmes, le neurologue Henri Gastaut a vigoureusement dénoncé ces pratiques, qui n’ont, bien entendu, aucun fondement scientifique.
D’autres rythmes sont plus longs, celui des battements cardiaques est de 1 ordre de la seconde, celui de la respiration d une dizaine de secondes. Les hormones se déversent environ toutes les heures. Le rythme de libération des ovaires chez la femme, de vingt-huit jours, est semblable à la périodicité du mouvement de la Lune autour de la Terre, mais ce n’est certainement pas notre satellite qui le commande. Tous ces rythmes sont héréditaires, innés, puisqu’ils apparaissent dès la naissance, et qu on les observe déjà chez l’embryon. Ils peuvent être différents d’un individu à un autre : chacun de nous a son individualité par rapport au temps, comme nous avons notre caractère. Ces rythmes sont commandés par un nombre inconnu d’horloges internes, lesquelles sont probablement sous la dépendance d une horloge centrale, très certainement située, comme c’est le cas chez nombre d’animaux, à la base du cerveau. Toutes ces horloges doivent être régulièrement remises à l’heure et resynchronisées, exactement comme celles des animaux, ce qui se fait à I aide des signaux reçus de l’environnement, notamment l’alternance du jour et de la nuit, et grâce à une hormone spécifique, « donneuse de temps » dont nous reparlerons plus en détail, la mélatonine. On a observé que des contraintes psychologiques peuvent désynchroniser les horloges internes : on a fait vivre dans le Grand Nord arctique des explorateurs dotés d’une montre marquant des jours de vingt-et-une heures : leur rythme veille-sommeil a été perturbé, comme celui de leur température interne. Ce fut aussi le cas des volontaires qui ont passé de longs mois dans l’obscurité de grottes, sans montre et sans repère par rapport à l’alternance du jour et de la nuit. Nous y reviendrons.