Du temps sacré au temps profane : Les états mystiques
Les états mystiques
Les grandes religions ont également donné une importance parfois spectaculaire aux états mystiques, au cours desquels des hommes ou des femmes tentent d’échapper au temps. C’est l’extase chrétienne, dont on trouve l’émouvante démonstration dans les poèmes de saint Jean de la Croix ou chez sainte Thérèse. Maître Eckhardt ne cessait de répéter que le plus grand obstacle à l’union avec Dieu était le temps, que le temps était ce qui empêchait l’homme de connaître Dieu. Dans la méditation bouddhique, un ermite peut rester immobile et silencieux pendant des jours, voire des mois, ne sentant ni la faim, ni la soif, ni le froid. Bouddha lui-même recommandait de chercher par la méditation à revenir en arrière dans le temps, afin de connaître ses existences antérieures, jusqu’à parvenir à cet état où le temps n’existait pas encore, où il n’y avait qu’un éternel présent, c’est-à-dire l’immortalité et le bonheur. Pour Bouddha, l’existence humaine était vouée à la souffrance du fait même qu’elle se déroulait dans le temps. Il fallait donc abolir ce temps profane, pour retrouver le temps sacré des origines. La méditation bouddhique cherche à atteindre un détachement complet de tous les éléments de ce monde, y compris le temps, à obtenir un vide mental, le corps étant comme mis de côté pour que toute la vie se concentre dans l’esprit, uniquement projeté vers la contemplation, vers l’extase. En contrôlant sa respiration, en prolongeant au maximum le délai entre l’expiration et l’inspiration suivante, le Yogin vit un temps différent du nôtre. Il est significatif, dit Mircea Eliade, de constater une certaine continuité du comportement humain à l’égard du temps à travers les âges et dans de multiples cultures, continuité qu’on peut définir en disant que pour se guérir de l’œuvre du temps, il faut revenir en arrière et s’efforcer de rejoindre le commencement du monde, au moment où le temps n’existait pas encore.
Alexandra David-Néel, qui explora de longues années le Tibet, seule, y rencontra des hommes et des femmes qui pouvaient se placer en état de transe, au cours duquel ils pouvaient séparer leur corps en un double, lequel faisait d’extraordinaires voyages. Une femme, ainsi, racontait qu’elle était restée une semaine inanimée, pendant laquelle son nouveau corps s’était transporté en divers endroits, sur la Terre ou dans l’au-delà. Un moine, après dix-huit mois de lectures d’ouvrages religieux et de méditations, sentit un matin son corps se soulever et, flottant dans l’air, s’envoler vers le monastère où il avait été moinillon. Il décida, après réflexion, que ses anciens compagnons avaient mauvaise mine et renonça à leur faire la farce de descendre parmi eux, et repartit. À peine avait-il fait quelques mètres en flottant, qu’il vit le monastère s’écrouler, les montagnes environnantes trembler, le soleil traverser le ciel comme un bolide et tout devenir, autour de lui, un tourbillon chaotique.
Ces visions ne sont pas rares chez les mystiques tibétains, dit Alexandra David-Néel, elles n’ont rien à voir avec des rêves, mais sont le résultat de méditations prolongées, aux règles très codifiées. Ces manifestations extrêmes de la foi devaient exister déjà, sous une forme sans doute différente, dans un très ancien passé, lorsque les chamans, les sorciers, se plaçaient en état de transe, semblant échapper au temps pour mieux communiquer avec les morts, pour revivre le passé et prédire l’avenir.
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