De la radioactivité artificielle à la fission : Paris frôle la vérité,… mais c'est Berlin qui trouve !
Paris frôle la vérité,… mais c’est Berlin qui trouve !
Les résultats étranges obtenus par les physiciens italiens en bombardant l’uranium, mais aussi le thorium, par des neutrons, avaient stimulé les groupes de recherche les plus compétents sur le plan de la chimie. C’était en particulier le cas du groupe d’Irène Joliot-Curie, au Collège de France à Paris, et de l’équipe de Berlin comprenant Otto Hahn, l’Autrichienne Lise Meitner, auxquels vint bientôt se joindre Fritz Strassmann. Ces chercheurs essayaient de débrouiller l’écheveau des radioactivités multiples observées à la manière des travaux pionniers de Marie Curie, c’est-à-dire qu’ils pratiquaient des séparations chimiques diverses et observaient dans quelles fractions chimiques se retrouvait tel ou tel type de radioactivité. Ils utilisaient de façon extensive la méthode des entraîneurs, ce qui signifie que, pour pister le radium, par exemple, ils ajoutaient à leur solution du baryum non radioactif, de propriétés chimiques très proches de celles de cet élément lourd, puisqu’il est situé dans la même colonne et immédiatement au-dessus de lui dans le tableau de Mendeleïev.De la même façon, les éléments chimiques utilisés pour entraîner les éléments plus lourds que l’uranium dont ils suspectaient la présence étaient, par exemple, le rhénium, l’iridium ou le platine. De 1935 à 1938, on assista ainsi à un véritable mach de ping-pong entre les équipes françaises et berlinoises. Une vingtaine d’articles furent publiés sur ce thème.
Mais plus ces chimistes travaillaient, et plus le mystère s’épaississait. Pour expliquer le comportement chimique de l’ensemble des corps radioactifs présents dans leurs échantillons, ces chercheurs furent conduits à invoquer l’existence de plusieurs chaînes parallèles de désintégration, analogues aux familles radioactives naturelles, mais mettant en jeu des séries d’isomères nucléaires, c’est-à-dire de noyaux possédant la même masse et la même charge, mais des modes de décroissance radioactive différents. Ces explications étaient théoriquement possibles, puisque les isomères nucléaires étaient connus depuis 1917, mais elles apparaissaient de moins en moins plausibles à mesure que les schémas se compliquaient.
Selon un scénario devenu classique, c’est l’équipe parisienne d’Irène Joliot qui fournit l’indice qui devait mener à la découverte, sans toutefois conclure complètement. En effet, la fille de Marie Curie et l’un de ses collaborateurs, Pavel Savitch, montrèrent que J’un des isotopes non identifiés avait des propriétés chimiques très proches de celles du lanthane, mais n’était pas de l’actinium, son homologue dans le tableau de Mendeleïev, puisqu’ils parvenaient à l’en séparer par fractionnement. Rappelons en effet que le fractionnement, par cristallisations successives, par exemple, c’était l’arme suprême de Marie Curie, le moyen qu’elle avait notamment utilisé afin de séparer le radium du baryum qui avait servi d’entraîneur pour l’extraire des minerais d’uranium. Irène Joliot ne tenta pas de séparer le lanthane de cet élément inconnu par fractionnement. Malgré toute sa science, elle n’y serait d’ailleurs pas parvenue. Avec son co-auteur, elle se contenta d’affirmer qu’elle n’aboutissait à aucune solution permettant de placer ce corps radioactif dans la série des éléments situés au-delà de l’uranium.
On était en 1938. Lise Meitner, qui était juive, avait dû quitter Berlin pour se réfugier à Stockholm. Hahn et Strassmann, étonnés et stimulés par la publication de leurs collègues parisiens, reprirent une série d’expériences sur des isotopes produits par irradiation de l’uranium par des neutrons. Plusieurs d’entre eux étaient entraînés chimiquement par le baryum, et on pouvait logiquement en déduire qu’il devait s’agir d’isotopes de radium. Cependant, poursuivant la séparation jusqu’à son stade ultime, Hahn et Strassmann réalisèrent les cristallisations fractionnées qui auraient dû séparer le radium du baryum. Mais à leur grande surprise, la radioactivité suivait imperturbablement le baryum. Ils publièrent ce résultat avec une grande prudence, qui révélait leur trouble devant ce qui semblait pourtant être la solution de l’énigme. Les isotopes que l’on avait pris pour du radium parce qu’ils « suivaient » le baryum ne pouvaient être que des isotopes de baryum. Mais alors, ceux que l’on prenait pour de l’actinium parce qu’ils suivaient le lanthane devaient être réellement du lanthane ! Et ceux que l’on avait identifiés comme des éléments transuraniens parce qu’ils se comportaient chimiquement comme du platine, de l’iridium ou de l’osmium, s’ils n’étaient pas des isotopes de ces trois éléments, étaient vraisemblablement leurs « homologues » chimiques plus légers, le ruthénium, le rhodium et le palladium, situés juste au-dessus d’eux dans le tableau périodique.Hahn et Strassmann remarquaient en effet que ces derniers noyaux avaient des masses dans la région de 100, alors que celle des lanthane et baryum se situait dans la région de masse 140. Les uns et les autres pouvaient donc fort bien résulter d’une brisure asymétrique d’un noyau de masse 239 (100 + 140 = 240).
Ces résultats furent publiés le 22 décembre 1938. Ils suscitèrent immédiatement un grand nombre de travaux qui confirmèrent la spectaculaire découverte. Le noyau d’uranium, après avoir capturé un neutron, se scindait en deux sous l’action de la répulsion électrostatique des trop nombreux protons qu’il contenait. Bohr et Wheeler développèrent un modèle théorique assimilant ce noyau à une goutte d’eau électriquement chargée qui se briserait en deux gouttes plus petites.Auparavant, à partir de considérations énergétiques, Niels Bohr avait établi que ce devait être le noyau composé d’uranium 236, provenant de l’union de l’isotope minoritaire 235U et du neutron qui subissait la fission.
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