Du temps sacré au temps profane
Un Dieu unique
L’invention d’un Dieu unique, quelle que soit la forme qu’il prendra selon les diverses religions, sera un élément essentiel dans la nouvelle façon dont l’homme va concevoir désormais le temps. La religion à dieu unique va détruire, peu à peu, les mythes liés aux renouvellements cycliques, au retour rituel et régulier du passé. Le vieux rêve de l’éternel retour va faire place à la notion d’un futur ouvert vers l’infini. L’hébraïsme, puis le christianisme vont ancrer dans la pensée des hommes que tout vient de Dieu, le temps y compris, lequel a commencé avec la divine création du monde et s’achèvera sur terre avec l’apocalypse, en passant par l’incarnation de Dieu dans le Christ, en une ligne continue, qui donne son sens à l’histoire, qui créé une « flèche du temps » religieuse. « Dieu, en prenant une forme humaine et temporelle, s’inscrit dans le temps et donne consistance à l’histoire », dit le sociologue Roger Sue. Dieu va transformer le temps profane et créer pour les hommes un nouvel avenir, une notion essentielle qui contient en germe la modernité, le développement, le progrès. Pour les théologiens, la seule histoire du monde et de l’homme est désormais I histoire sainte. Le temps sacré est censé apporter aux hommes une contre partie éternelle au temps profane, éphémère.
Mais le mythe ne va pas disparaître pour autant de l’esprit des hommes. Si l’arrivée d’un dieu unique paraît marquer une rupture essentielle avec le monde des mythes, cette cassure ne s’est pas faite d’un coup. L’existence d’un Être suprême, créateur du monde, n’a pas été contradictoire, pendant un certain lemps, avec l’existence d’autres dieux, aux rôles complémentaires.
Comme l’observe l’ethnologue Maurice Leenhardt, les légendes relatives à ces anciens dieux et les mythes totémiques se sont souvent et pendant longtemps entremêlés, sans pour autant se confondre. Les premiers dieux furent, semble-t-il, des ancêtres remarquables, auxquels on rendait un hommage singulier, qui devint peu à peu un culte. L’un des plus anciens de ces cultes était symbolise par l’union du ciel et de la terre, qui assurait la bonne récolte et la prospérité. On la célébrait par l’union charnelle d’un homme et d’une femme, qui s’accouplaient dans un édifice particulier, dédié à cette cérémonie, prototype de ce qui deviendra le temple, puis le palais.
Il n’y a rien de surprenant à ce que nombre d’éléments mythiques se retrouvent dans les Évangiles. L’épigraphiste et historien Jean Bottéro a montré comment, mille ans – dix siècles ! – avant le Christ, les hommes du peuple d’Israël, les Hébreux qui n’apporteront rien au monde sur le plan des techniques ou de la science, vont imposer l’idée d’un dieu unique et intenter les belles légendes de ce qui deviendra la Bible. On retrouve dans ces légendes des récits qui circulaient chez tous les peuples de la région, entre la Palestine, l’Égypte et la Mésopotamie. Cela a donné à ces textes une plus grande force de persuasion auprès du peuple, qui reconnut très vite dans la Bible des histoires déjà familières.
Mais la différence est essentielle. Les anciens mythes fai- saient intervenir de nombreux dieux, vivant à la fois dans les cieux et sur la Terre. Avec Israël, le créateur devient unique, c’est Dieu, qui ne fait plus partie du cosmos, qui n’est plus dans le temps des hommes, et ces croyances secondaires, même si elles persistèrent un certain moment, auront vites des limites. Un bon serviteur de l’Église, dès le début du christianisme, ne pou- vait pas conserver une notion cyclique du temps, ni croire à d’aubes dieux, sans être immédiatement accusé d’hérésie. Il se devait d’accepter à la fois la création divine et la fin de sa propre existence, car s’il suivait les préceptes de la religion, la mort devait lui faisait espérer une étemelle existence de bonheur dans l’autre monde.
Le choix de ces hommes d’Israël, des centaines d’années avant notre ère, fut le bon, puisqu’il garde sa valeur, aujourd’hui encore. Ils ont posé, les premiers, les bonnes questions sur l’origine du monde et de l’homme. Par exemple, l’idée que la création ne fut pas faite à partir de rien, mais par l’organisation ?livine d’un immense chaos, existait déjà dans les mythes de Encore une fois, on retrouve ici les théories modernes du Big-Bang, de la création de l’univers, lequel se serait développé et organisé à partir d’un chaos brûlant, infiniment lumineux et dense, de particules désordonnées.
Vidéo: Du temps sacré au temps profane
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