Du temps sacré au temps profane : Le temps de l'État
Le temps de l’État
Dans une certaine mesure, on peu dire que la division du temps, telle que nous la connaissons, est née d’une volonté politique. Même si la fixation du temps par les calendriers est parfaitement arbitraire. C’est en l’an 46 avant J.-C. qu’un premier essai fut tenté par les Romains pour fixer la date du l janvier comme début de l’année. L’année civile auparavant,chez les Grecs, le 1 mars. D’où, dit-on, l’origine des « poissons d’avril » qui étaient des cadeaux qu’on se faisait, il y a bien longtemps, pour fêter l’année nouvelle. C’était aussi la date du carnaval. Mais, au Moyen Âge, on décida de plusieurs autres dates pour le début de l’année. C’est finalement en 1563 que Charles IX imposa le 1er janvier comme début de l’année, mais cette décision ne prit effet qu’en 586, année qui commença le 14 avril et se termina le 31 décembre, n’ayant donc que huit mois et dix-sept jours : septembre était, comme l’indique son nom, le septième mois, octobre le huitième, novembre le neuvième, décembre le dixième.
En Chine ancienne, les calendriers étaient la prérogative des souverains, qui en interdisaient l’usage au peuple. Chaque dynastie avait son propre calendrier, qui la symbolisait et marquait la puissance de l’empereur, qui disposait de son astronome- astrologue, lequel décidait du moment des actes essentiels pour l’activité économique comme les périodes d’irrigation, mais ne devait pas divulguer les phénomènes célestes étranges qu’il observait, comme l’apparition de comètes. Pour les Chinois, l’année commençait avec le solstice d’hiver. Alors le Yang, la force positive, reprenait son allant, pour annoncer l’arrivée prochaine du printemps. Ils bâtirent ainsi toute une métaphysique sur le temps depuis l’an 1200 avant notre ère – la philosophie chinoise, a-t-on pu dire, est une philosophie du temps – et construisirent en l’an 720 la première horloge connue, qui donnait aussi le mouvement des planètes.
Les années chrétiennes furent traditionnellement datées à partir de la naissance du Christ, fixée au 25 décembre au VIe siècle par Denys le Petit. Mais il fallut des centaines d’années pour que cette date s’installe. Ces années chrétiennes étaient différentes de l’année orthodoxe, ou de la musulmane : l’Islam compte les années à partir de l’hégire, la fuite de Mahomet à Médine, en l’an 622. L’année musulmane comprend douze mois lunaires, de vingt-neuf et trente jours. Mais cette sujétion à la Lune fut aussi le prétexte d’une révolution : lorsque, en 1926, Mustafa Kemal proclama en Turquie la fin du sultanat et supprima le port du fez pour les hommes et du voile pour les femmes, il abandonna en même temps le calendrier lunaire pour adopter le calendrier solaire occidental.
En Occident, le calendrier romain primitif dépendait du mouvement apparent de la Lune, chaque mois commençait avec la nouvelle Lune et avait vingt-neuf ou trente jours, et l’année comptait trois cent soixante-quatre jours. L’année julienne, instaurée par César en 45 avant J.-C., était de 365 jours 1/4, composée de mois de 29,5 à 30,5 jours, et excédait l’année astronomique, c’est-à-dire le temps que le Soleil met pour faire sa révolution, de onze minutes et quatorze secondes. Le pape Grégoire XIII décida en 1582 de réviser le calendrier pour accorder le temps officiel et le temps astronomique, car, au fil des ans, l’équinoxe de printemps, lié traditionnellement à la fête de Pâques, s’était déplacé de dix jours. Or Pâques, dont la date était fixée depuis l’an 325, était une fête essentielle pour l’Église et conditionnait la plupart des autres fêtes religieuses. Le pape supprima donc dix jours, le lendemain du 4 octobre 1582 devenant le 15, ce qui provoqua la colère des foules dans toute l’Europe, à mesure que s’y étendait cette réforme. « Rendez-nous nos dix jours », entendait-on crier dans les rues. On accusa la réforme de « déssaisonner » les saisons. En France, le roi Henri III, qui répugnait à voir ainsi disparaître la fête de Saint-Denis, décida de faire ce changement du 9 au 20 décembre 1582, à la grande colère du pape. Les protestants refusèrent, bien entendu, cette décision papiste et l’Angleterre n’adhéra à ce calendrier qu’en 1752, le 2 septembre étant suivi du 13. Benjamin Franklin trouva des consolations à ce changement : « Ne marque ni étonnement, ni mépris, ami lecteur, de voir ainsi retrancher les jours, ni regret pour la perte d’un temps aussi long, mais console-toi plutôt à cette idée que tes dépenses apparaîtront moindres… Et quel plaisir aussi pour qui aime son oreiller que de s’étendre paisiblement le deux du mois pour se réveiller seulement au matin du treize. » le calendrier grégorien ne fut adopté au Japon qu’en 1873, et en Chine en 1949. Il subsiste une différence d’un jour tous les cent vingt-huit ans avec l’année astronomique, ce qui est corrigé par l’annulation des années bissextiles qui terminent un siècle, à moins que le nombre qui les nomme ne soit divisible par quatre cents.
Le pouvoir a toujours voulu modifier les calendriers, voire en créer de nouveaux, comme l’a fait la Révolution de 1789, qui décida de faire commencer le « temps des Français » du jour de la création de la République. Et aussi de modifier la gestion du temps quotidien par les citoyens. L’Etat s’est récemment arrogé le droit d’imposer un temps dans la plupart de nos activités quotidiennes : il décide à partir de quel âge on est majeur, on peut se marier, ou qu’il convient de cesser de travailler. C’est aussi le pouvoir qui organise les structures de la société, qui fait que le temps d’un ouvrier n’a pas même valeur que celui d’un patron, celui d’un chômeur que celui d’un travailleur. Il règle le temps de travail, celui des congés scolaires, les heures d’ouverture des commerces et des administrations, le temps des soldes, les possibilités de travailler la nuit ou le dimanche. Il décide de l’ouverture et de la fermeture des débits de boisson et des discothèques. Il organise parfois le chômage ou les possibilités de réintégration dans le monde du travail. Il gère, en somme, la pénurie de temps dont nous souffrons.
Dans la Roumanie du dictateur Ceauccscu, c’était pis encore : on ne pouvait pas faire sa toilette ou la cuisine à n’importe quelle heure, car l’eau ou le gaz étaient distribués à des heures fixées par le pouvoir. Pour réaliser des écononùes d’énergie, ce n’étaient jamais celles de grande Il fallait donc que les ménagères se lèvent la nuit pour effectuer leurs tâches quotidiennes. Il en était de même pour les horaires de travail, car les restrictions de fuel provoquaient souvent des arrêts ou des retards importants des trains ; les travailleurs n’étaient jamais certains d’arriver à une heure fixe à l’usine. Dans les régimes communistes, il existait un temps bien particulier, auquel s’étaient habitués les citoyens, notamment en URSS : celui des interminables attentes devant les magasins, celui passé dans des transports en commun souvent aléatoires, ou encore celui consacré aux participations obligatoires aux cérémonies ou défilés du parti.
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