Le rôle de la socialité :
Pour le corps social :
L’observation des sociétés animales, et en particulier des sociétés d’insectes, donne souvent une impression de désordre apparent. Considérons les termites. Lorsqu’ils commencent la construction de leur nid, les ouvriers partent dans toutes les directions puis, peu à peu, se forment des « files » ou colonnes d’insectes qui vont participer aux différentes tâches. Progressivement, une organisation se dessine et, finalement, une construction cohérente prend naissance. Le chaos initial des termites allant dans toutes les directions fait bientôt place à des activités parfaitement organisées et régulées. Finalement, la construction d’un nid structuré et cohérent voit le jour.
Rémy Chauvin (1972, 1974) a observé et signalé maintes fois ce type de phénomène chez les fourmis : souvent, deux ou plusieurs fourmis contrarient ou même annulent leurs efforts individuels, l’une faisant exactement le contraire de l’autre ou des autres. Qu’il s’agisse du transport de brindilles de construction, de couvain ou de nourriture, les individus marquent de nombreuses hésitations, s’arrêtent de manière incompréhensible et peuvent même abandonner leur tâche pour se livrer tout naturellement à une autre besogne 1 Cette incoordination évidente est en contraste flagrant avec l’efficacité de l’ensemble.
Le nombre d’individus du superorganisme peut être comparé aux multiples neurones du cerveau. En effet, une cellule, comme une fourmi, ne présente pas à elle seule les propriétés propres au système général de l’intelligence. Dans ce sens, Il est d’ailleurs symptomatique que l’on puisse détruire une grande partie du cerveau tout en maintenant possibles certains apprentissages, ce qui se produit dans certains accidents vasculaires par exemple. De la même manière, une fourmilière peut être en partie détruite sans que son fonctionnement en soit totalement arrêté. Les parties manquantes seront, en général, progressivement reconstituées, régénérées pourrait-on dire comme les cellules qui se multiplient pour régénérer certains organes.
Chez de nombreux insectes moins évolués que les fourmis, les temites par exemple, le nombre d’individus compense peut-être un organisme morphologiquement et physiologiquement moins élaboré (J. Goldberg, 1980). En étudiant les processus de communication sociale, Hubert Markl (1980) a lui aussi comparé les organismes individuels aux fonctions du système nerveux. L’idée de réseau serait suggérée dans chacun de ces cas.
Pour l’individu :
Pour mieux comprendre le rôle de la sociabilité sur l’individu social, il suffit de l’isoler et d’observer.
Les troubles dus à l’isolement :
Les jeunes animaux sociaux isolés pendant leur tout jeune âge manifestent à l’âge adulte des troubles sociaux et sexuels très profonds.
Chez les mammifères et chez l’homme, l’isolement entraîne des troubles physiologiques et psychologiques de type agressif ou dépressif. Le manque de stimulations et d’informations sensorielles en provenance des congénères empêche l’organisme d’atteindre le niveau d’activation suffisant pour réagir de façon adaptée. L’isolement social et la privation de stimulations sensorielles entraînent chez les animaux et chez l’homme des déviations du comportement normal.
Chez la plupart des animaux sociaux – et cela est particulièrement observable chez les primates -, l’isolement conduit à des troubles émotionnels et à des comportements anormaux : hyperexcitabilité, stéréotypie des mouvements, violence, repliement sur soi, état de dépression, etc. L’appauvrissement des informations parvenant de l’environnement perturberait le développement sensoriel de l’animal. Si l’isolement survient à certaines périodes, critiques comme celle de la maturation du jeune ou particulière comme celle de la socialisation, les troubles peuvent être particulièrement marqués. Selon Francis De Feundis (1975), l’insuffisance d’information sensorielle (spécialement sociale) modifie le niveau d’activation, c’est-à-dire l’excitabilité du système nerveux central et le niveau de vigilance qui dépend de cette excitabilité. Pour qu’un comportement donné puisse se dérouler, l’organisme vivant doit atteindre un niveau d’activation optimal ; à défaut, si ce niveau est trop élevé ou trop bas, des inadaptations du comportement se manifestent. Chez des souris mâles, on a constaté que l’isolement entraîne une très nette augmentation des comportements agressifs.
Cette modification ne s’observe pas chez les femelles qui deviennent, par contre, plus sensibles à certaines substances chimiques et pharmacologiques. Les mâles ne manifestent pas leur agressivité à l’encontre des femelles. L’isolement modifie également l’activité locomotrice des souris et elles sont bien moins réactives, en particulier, devant des objets nouveaux. L’effet de l’isolement social semble moins net chez les rats, ce qui montre des différences de réactivité en fonction de l’espèce.
On a vu, chez les singes, comment l’isolement entraînait dans les six premiers mois de la vie, et au jeune âge en général, des conséquences graves à l’âge adulte. Il faut préciser que même un isolement partiel provoque des troubles sociaux, quel que soit l’âge où les animaux y sont soumis. Lorsqu’ils peuvent ensuite retrouver leurs congénères, ils éprouvent un choc social (et physique) : l’émotivité et l’affectivité sont perturbées, ce qui a aussi des conséquences dans les possibilités d’apprentissage. Néanmoins,H. Harlow et d’autres chercheurs ont montré que des macaques isolés pouvaient être bien réadaptés lorsqu’ils étaient replacés avec des congénères élevés socialement de façon normale.
Conséquences sur les sécrétions hormonales :
L’étude du comportement des souris ou des macaques peut fournir d’ailleurs d’excellents modèles animaux pour l’étude des dépressions et autres troubles dus à l’isolement chez l’homme.
Au niveau des substances, on a constaté que le cerveau de la souris, du singe ou de l’homme se comporte de la même manière. Le cerveau utilise presque en totalité du glucose comme source d’énergie métabolique. Les anomalies du métabolisme du glucose ont des conséquences analogues chez l’animal et chez l’homme dans les maladies dites « émotionnelles et mentales ».
En même temps que les modifications comportementales, F. De Feundis a montré que l’isolement social des souris entraîne, dans leur cerveau, une diminution de l’incorporation des atomes de carbone de glucose. Cette diminution serait la conséquence des modifications touchant au taux des hormones contrôlant le métabolisme des hydrates de carbone. En outre, on a pu remarquer que l’isolement social des souris provoque chez elles une diminution de la sensibilité aux psycholeptiques (les substances qui ont une action dépressive sur le système nerveux) en même temps qu’une augmentation de la sensibilité aux stimulants.
Les neurotransmetteurs (noradrénaline, dopamine, sérotonine, glutamate, l’acide gamma-aminobutyrique-GABA) subissent l’action de l’environnement et spécialement de l’environnement social.
Ainsi, les souris isolées synthétisent moins de noradrénaline, de sérotonine et de dopamine au niveau du cerveau que les souris élevées en groupes. Chez les souris mâles isolées il y a, en outre, diminution des sécrétions de stimulines des glandes surrénale, corticale et médullaire et une baisse de la tension artérielle (on rencontre des symptômes analogues chez les sujets humains neurasthéniques). Des dérèglements d’autres substances encore traduisent l’isolement des souris comme une augmentation de l’acétylcholine cérébral et de celui des terminaisons nerveuses (synapses). D’une manière générale (moins chez les singes cependant), les femelles se montrent moins émotives après l’isolement que les mâles : ces différences proviendraient des différences dans les taux de sécrétion des hormones.
La survie de l’individu isolé :
En réalité, l’individu isolé n’a pas d’existence propre dans la nature. Chez les insectes sociaux par exemple, on sait depuis longtemps que sa survie est limitée à quelques jours, voire quelques heures. Chez les hyménoptères sociaux (guêpes, abeilles, fourmis) ou les isoptères (termites), la survie est même proportionnelle au nombre d’individus que l’on regroupe (P.P. Grassé et R. Chauvin, 1944). Isolés, les termites peuvent commencer un très léger creusement qu’ils ne poursuivent jamais et aucune construction véritable n’est alors possible. En l’absence des stimulations indispensables émanant de ses congénères, le termite isolé semble incapable d’apprentissage.
Ils commencent à être nourris 4 heures après la naissance. Très vite intervient toute une panoplie de communications vocales entre la mère et son enfant. La femelle siffle son petit et s’il demeure éloigné, les autres mères l’encerclent rapidement près de la surface. Très vite après la naissance, les petits se déplacent normalement avec leur mère en suivant leur nageoire dorsale. Les ongulés. Les jeunes naissent dans un état «précoce». Très peu de temps après la naissance, ils se tiennent debout et se dirigent vers leur mère pour téter. Les femelles apprennent très vite à reconnaître leur petit et le nourrissent normalement de façon exclusive. Alors que ces espèces sont par nature plutôt silencieuses, des échanges vocaux sont courants entre la mère et les jeunes. Chez les pécaris à collier (dicotyles tajacu), la communication est constante : ronronnements et grognements réciproques.
Les ongulés qui vivent en terrains découverts, comme les chevaux ou les moutons, sont capables de se déplacer très bien et de suivre leur mère très rapidement après la naissance ; ils sont donc toujours très près d’elle. Les nouveau-nés suivent dès leur naissance tout ce qui bouge; ils peuvent suivre très vite le troupeau et l’attachement maternel se forme très rapidement aussi. C’est la femelle qui maintient le contact avec l’enfant. Chez le caribou par exemple, elle envoie des signaux à son veau, à la fois en inclinant la tête et en grognant. Chez les chèvres, un lien s’établit très vite. L’olfaction y est essentielle, comme chez les brebis qui mémorisent l’odeur de leur agneau et peuvent le reconnaître très vite après la naissance. Seul son agneau est familier à une brebis et seul lui sera autorisé à s’allaiter, les agneaux étrangers étant toujours exclus. Au moment de la mise bas, la brebis manifeste des réactions maternelles envers son bébé. Elle le lèche, le débarrasse des ses membranes placentaires et du liquide amniotique. En bêlant faiblement et tout en le soignant, elle accepte l’agneau à sa mamelle dès qu’il tente de téter (une heure et demi après sa naissance). C’est dans les deux ou trois heures qui suivent que s’établit le lien sélectif qu’elle aura avec son agneau. C’est aussi au moment de la mise bas que l’activité des neurones du bulbe olfactif se modifie et que se met en place la mémorisation des odeurs par la brebis. La manifestation du comportement maternel obéit donc en fait à un déterminisme très complexe.
Les facteurs hormonaux ainsi que le processus mécanique de l’expulsion du fœtus jouent un rôle important dans le déclenchement de l’intérêt pour le bébé, donc dans le comportement maternel de la brebis. Aussitôt après, dans les heures qui suivent la naissance, existe une période sensible qui permettra vraiment de consolider le contact entre la brebis et l’agneau. Ces éléments se retrouvent chez d’autres mammifères mais n’ont pas été étudiés encore de façon totalement approfondie. Il faut donc se garder de généraliser trop vite d’une espèce à l’autre. On sait, par exemple, que la prolactine est considérée comme l’hormone du comportement maternel chez la lapine mais il semble que ce ne soit pas le cas chez la rate ni chez la brebis où une injection de progestérone ou d’œstradiol détermine les réactions maternelles. Dans les conditions naturelles, les œstrogènes seraient essentiels.
Les bébés éléphants dépendent de leur mère pendant 3 à 5 ans et cette période contribue largement à développer des relations sociales complexes dans l’unité familiale. Phylllis Lee de l’université de Cambridge a bien étudié (1986) le développement des petits éléphants au parc national Amboseli au Kenya et a pu voir que les femelles d’éléphants soignent de façon différente les éléphanteaux mâles et femelles. Les mâles se nourrissent plus souvent mais quittent leur mère plus tôt ; les femelles restent plus proches de leur mère et s’engagent dans des interactions plus nombreuses avec elle. Les petits mâles quittent la famille pour interagir et jouer surtout avec des animaux qui ne sont pas de la famille alors que les femelles demeurent plus dans le cadre familial. Ces différences entrent dans le processus de développement social précoce de ces animaux préparant aux contraintes de l’organisation sociale adulte. Les comportements parentaux s’avèrent donc évidemment bien différents selon les espèces. Chez les oiseaux par exemple, on pourrait dire que le phénomène d’empreinte est essentiel alors que chez les mammifères, c’est le phénomène d’attachement avec les nombreuses applications que l’on peut faire à l’espèce humaine qui est prédominant dans la genèse du lien social. Pourtant, les deux ne semblent pas fondamentalement différents; l’empreinte est plus ponctuelle et dure un temps bien déterminé, les attachements sont multiples et font appel à une multitude de comportements des parents.
Toujours est-il que les expériences vécues par le jeune, au début de sa vie, vont déterminer ensuite une bonne part de son vécu social et des relations qu’il pourra entretenir et développer avec ses congénères.