Le temps du vivants : Les animaux ont-ils le sens du temps ?
L’examen des relations étonnantes qu’ont les animaux avec le temps oblige à poser une interrogation essentielle : les animaux ont-ils le sens du temps ? Cette question est discutée depuis longtemps, et il est difficile de lui donner une réponse claire. La plupart des psychologues estiment tout d’abord, ce qui semble évident, que si l’animal peut estimer le temps, il n’en a pas la notion théorique. Il ne parait pas non plus, en général , qu’il ait conscience qu’il existe un passé et un futur : il vil essentiellement dans le présent. Il subit le temps qui passe, mais ne le ressent pas comme tel. Nous avons vu que des observations montrent cependant que l’on peut susciter chez certains animaux, par l’entraînement ou le dressage, une faculté de compter, ou au moins d’estimer le temps. Ce qui tend à prouver qu’ils possèdent une forme de mémoire, laquelle est indubitablement liée au temps.
D’autres observations permettent d’affiner le problème. Comme celles qui consistent à entraîner des animaux à distinguer deux signaux, sonores ou visuels, qui ne diffèrent que par leur durée. Marc Richelle et Helga Lejeune, de l’université de Liège, ont habitué des rats à recevoir de la nourriture après qu’ils ont, au signal lumineux, appuyé sur un levier, suivant un protocole classique pour ce genre d’expérience. Mais, différence essentielle, les rats ne reçoivent leur récompense que s’il s’écoule deux minutes entre chaque prise d’aliment. Les chercheurs se sont aperçus qu’à mesure qu’approche ce délai de deux minutes, les rats appuient avec davantage de vigueur sur le levier. Le programme semble donc avoir engendré une véritable périodicité dans le comportement de l’animal. Les biologistes ont modifié l’expérience en plaçant un délai de vingt secondes entre deux appuis : si l’animal actionne le levier trop tôt, il remet le système à zéro et ne reçoit rien. On s’aperçoit qu’avec un apprentissage, les réponses du rat tournent bien autour des • Dans une autre expérience, des pigeons sont dressés à appuyer du bec sur des disques colorés qui s’allument pendant quelques secondes, ce qui leur permet d’obtenir des graines. Ils peuvent distinguer entre un signal de sept à huit secondes et un signal de dix secondes. Une performance proche de celle de l’homme, disent les chercheurs.
Cette mémoire animale, ainsi stimulée par des expériences, est toujours limitée. Les animaux qu’on utilise pour les observations que nous venons d’évoquer ne font pas la liaison entre deux événements s’il sont trop espacés dans la durée. S’il s’écoule plus de trente secondes entre l’appui sur un levier par un rat de laboratoire et l’apparition de la nourriture, l’apprentissage ne se fera pas. S’il se passe plus de quatre-vingt-dix secondes entre le moment où l’on place devant un singe une friandise cachée sous un bol et le moment où on l’autorisera à la chercher, il ne la trouvera pas. Un chimpanzé est incapable de se souvenir du protocole d’expérience qui nous paraît simple, qui consiste, pour recevoir une friandise, à ouvrir l’une des quatre portes exactement semblables qu’il a devant lui, sachant que la porte qui s’ouvre à un essai est toujours l’une des trois qui sera fermée lors de l’essai suivant. S’il se sert d’un bâton pour décrocher un régime de banane, il ne le gardera pas pour l’utiliser plus tard, il l’oublie immédiatement. Sur quoi se basent les animaux qui en sont capables pour estimer le temps ? Sur une horloge interne ? Sur un rythme naturel, comme les battements de leur cœur ? Sur la montée de tensions liée à l’angoisse de ne pouvoir obtenir la nourriture ? Sur les activités qu ils font toujours dans leur cage en attendant le moment où arrivera cette nourriture ? Sur des signaux extérieurs, liés, par exemple, à la variation de la durée du jour ? Sur d’autres signes, que nous sommes incapables de percevoir? On ne sait pas encore répondre à ces questions, pourtant passionnantes.