Mythes et rites modernes : La princesse dort cent ans
La princesse dort cent ans
Cette distorsion du temps est particulièrement évidente dans les récits relatifs aux châteaux ou aux villes englouties, où la malédiction se renouvelle périodiquement. Tous les sept ou neuf ans, la ville renaît, les cloches sonnent de nouveau, la princesse se réveille. Ce qui compte, ce n’est pas la mesure du temps, mais son rythme, l’essentiel est ce qui se passe et non la régularité de l’action temporelle. Dans les contes de fées, le temps est souvent complètement élastique. Le berger s’endort une heure et se réveille un siècle plus tard, des héros vivent des années de vie magique en un instant. Le prince bâtit son palais en une journée, la princesse dort cent ans. Le temps s’arrête parfois, ou alors se répète, balbutie. On découvre dans des grimoires très anciens des faits actuels, et inversement. Dans le conte d’Andersen La Fée du sureau – laquelle symbolise le souvenir – la fée se transforme en petite fille pour jouer dans son temps avec le petit garçon, héros du conte. Ils chevauchent la canne du grand-père et parcourent ainsi tout le Danemark « et ce fut le printemps, et ce fut l’été, et ce fut l’automne, et ce fut l’hiver». Pour bien marquer qu’il s’agit d’un temps mythique, le récit ajoute que pendant tout leur vol le sureau répandait son parfum suave. Puis les deux enfants deviennent brusquement deux vieillards.
L’un des principaux attraits du conte n’est-il pas qu’il nous tire hors de notre temps, loin de notre vie quotidienne, monotone et trop lisse ? La quête du Graal, les aventures des chevaliers de la Table ronde, Alice au pays des merveilles ou Peter Pan jouent avec le temps, en évoquant le rêve de pays imaginaires, d’existences différentes, voire d’une vie étemelle. Peter Pan voudrait arrêter le temps, dans la mesure où il refuse de grandir pour rester toujours un petit enfant. Leur situation dans un temps mythique donne aux contes une grande partie de leur valeur émotionnelle, et aux faits qu’ils relatent leur force exceptionnelle, et cela d’autant plus qu’ils sont davantage éloignés de nos préoccupations habituelles.
Certains contes possèdent cependant ce que les spécia listes appellent une fonction « étiologique ». C’est-à-dire qu’ils juxtaposent deux éléments du temps, racontant ce qui s’est passé il y a très longtemps pour expliquer un phénomène actuel, réel mais mystérieux pour le profane. Ils sont parfois fabriqués en fonction de cette explication et ont donc un rôle social important, en cherchant à dissiper des interrogations. Ainsi, dans un conte de Grimm, c’est une promenade ancienne qui explique pourquoi le haricot a sur le dos une couture noire. Il ne faut pas négliger non plus l’aspect moralisateur de bien des contes, lesquels contiennent souvent des préceptes de bonne conduite : Le Petit Chaperon rouge doit inciter les fillettes à la prudence devant les inconnus, Barbe Bleue souligne que la curiosité est un vilain défaut, Le Petit Poucet montre que l’intelligence vient à bout de la force. Mais tout cela est fait de façon que l’auditeur ou le jeune lecteur ne soit jamais effrayé : les contes de fées n’inquiètent personne. Et le fait qu’ils se déroulent dans un temps imaginaire y est pour beaucoup : les êtres surnaturels n’ont rien à voir avec la réalité quotidienne.
Vidéo: Mythes et rites modernes : La princesse dort cent ans
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur: Mythes et rites modernes : La princesse dort cent ans