Que faire des déchets radioactifs ?
Le terme « déchet radioactif » recouvre des produits dont l’origine et la dangerosité sont très diverses. Au niveau de l’origine, on pense tout d’abord, bien entendu aux déchets dits « nucléaires », c’est-à-dire à ceux qui sont produits tout au long de la chaîne industrielle menant de l’extraction de l’uranium à la production d’électricité dans les centrales nucléaires, y compris la phase d’enrichissement de l’uranium, et celle de démantèlement des centrales. Mais il s’y ajoute toute une catégorie de déchets issus notamment de la médecine nucléaire, de la recherche, ainsi que des nombreuses industries mettant en œuvre des isotopes radioactifs. Nous nous concentrerons ici sur les déchets nucléaires, qui représentent la plus grande part des déchets radioactifs.
Au niveau de la dangerosité, ces derniers sont répartis en trois classes :
- les déchets de classe A ont une activité spécifique (par unité de volume) relativement faible et une période de demi-vie inférieure ou égale à trente ans ;
- les déchets de classe B présentent une activité spécifique moyenne et une période inférieure à 10 000 ans ;
- ceux de classe C sont les plus dangereux. Ce sont des produits présentant une très forte activité spécifique, alliée à une période radioactive de plusieurs milliers d’années.
En termes de poids ou de volume, le problème des déchets nucléaires n’est pas spectaculaire, en particulier si on le compare à l’ensemble des déchets industriels et ménagers. En effet, pour la France, ces derniers représentent une masse de l’ordre de 2,5 tonnes par an et par habitant, dont une centaine de kilogrammes de déchets toxiques. Avec un kilogramme par an et par habitant (900 grammes pour la classe A, 95 pour la classe B et seulement 5 grammes pour la classe C), la totalité des déchets nucléaires ne représente donc que 1 % de l’ensemble des déchets toxiques produits annuellement en France.
Il faut toutefois remarquer que si l’on ramène ces chiffres à l’ensemble de la population française, on aboutit tout de même à une production annuelle de 60 000 tonnes de déchets nucléaires, toutes classes confondues dont 300 tonnes de produits hautement radioactifs et de très longues périodes.
Le problème posé par les déchets nucléaires ne provient cependant pas de leur volume, puisque tous les déchets annuels tiendraient dans un parallélépipède ayant la surface d’un terrain de football et environ 5 mètres de hauteur, et les plus radioactifs dans un volume équivalent à celui d’un appartement de trois pièces. Ce problème réside dans le danger qu’ils représentent, allié au fait qu’actuellement on ne sait pas les éliminer à l’échelle industrielle. En effet, la destruction d’un noyau radioactif ne peut s’envisager qu’en le transmutant en un ou plusieurs noyaux stables. Cela pourrait éventuellement se faire pour certains d’entre eux, mais il faudrait utiliser des flux de particules énergétiques (neutrons ou protons) issus de réacteurs à hauts flux ou d’accélérateurs, et l’énergie ainsi consommée serait prohibitive. On pourrait aussi imaginer d’envoyer les déchets de plus haute activité loin de la Terre, dans le Soleil, par exemple, qui les absorberait sans problème ! Mais, au-delà du coût de telles opérations, le risque d’un échec du tir, amenant la chute dans un océan ou sur un continent d’une capsule bourrée de produits extrêmement radioactifs, exclut d’emblée l’hypothèse d’une telle solution.
Face à cette situation, certaines puissances ont d’abord choisi de se débarrasser de leurs déchets nucléaires en les envoyant dans les mers, soit sous forme de solutions faiblement radioactives, en comptant sur l’énorme dilution pour faire « oublier » la radioactivité originale de ces produits, soit en immergeant des barils noyés dans du béton et en espérant que la résistance des enveloppes serait suffisante pour que la radioactivité des déchets ait décru de façon significative. Ces méthodes ont été proscrites à partir de 1971 parce qu’elles présentaient de graves inconvénients. La méthode de dilution est en effet mise en échec parce que nombre d’organismes vivants (algues, plancton, crustacés) sont susceptibles de re-concentrer certains atomes radioactifs, les réintroduisant à des doses dangereuses dans la chaîne alimentaire. D’autre part, l’immersion de colis présente des risques d’éclatement accidentel des enveloppes, dont la résistance ne peut de toute façon être établie avec certitude à l’échelle de plusieurs centaines, voire de milliers d’années.
Deux solutions sont actuellement préconisées et mises en œuvre. La première consiste à stocker les déchets tels qu’ils sont recueillis. C’est la méthode adoptée par de nombreux pays, et notamment par les États-Unis. Les déchets sont actuellement entreposés en surface, dans des silos ou des piscines surveillés. Mais, pour ceux qui possèdent les plus longues périodes, de tels entreposages ne peuvent constituer que des solutions d’attente. À terme, ils devront impérativement être enfouis profondément dans le sol, à moins qu’une méthode ne soit mise au point pour les détruire à l’échelle industrielle. Le stockage sans traitement apparaît ainsi comme une solution relativement aisée à mettre en œuvre mais il possède l’inconvénient de nécessiter de grands espaces d’entreposage, ce qui n’est pas toujours évident compte tenu des réticences, bien compréhensibles, des populations riveraines. De plus, une telle méthode exclut la récupération de combustibles potentiels encore présents dans les « cendres nucléaires ».
La seconde solution, qui semble plus rationnelle, est celle qui a été adoptée par la France, mais aussi par la Grande-Bretagne, le Japon et la Russie. Elle consiste à retraiter les combustibles irradiés issus des centrales dans des centres spécialement équipés comme celui de La Hague, de façon à en séparer l’uranium et le plutonium. Ces éléments recèlent encore de l’énergie nucléaire qui pourra éventuellement être exploitée dans un futur plus ou moins proche. La manipulation de ces grandes quantités de produits hautement radioactifs n’est, bien entendu pas exempte de risques, mais cette solution présente un intérêt économique certain à long terme. Les autres éléments (produits de fission et actinides), qui représentent 3 % de la masse des combustibles irradiés constituent majoritairement des déchets de classe B ou C. Ils sont conditionnés en « colis de déchets » destinés à être stockés dans des abris creusés au sein de couches géologiques profondes choisies pour leur imperméabilité et leur stabilité. Des études pluridisciplinaires ont montré que les roches les plus aptes à accueillir des sites de stockage profond sont les granités et les argiles. En France, un laboratoire souterrain destiné à étudier les conditions d’un tel stockage, en milieu argileux, a été construit à Bure, dans la Meuse. Des décisions définitives sur le stockage effectif de déchets nucléaires en site profond ne seront prises qu’à l’horizon 2020.
Quant aux déchets de classe A, issus du retraitement des combustibles ou de toute autre origine, ils sont entreposés pour une période d’au moins 300 ans dans des centres de stockage en surface, tels que celui de Soulaisnes, dans l’Aube, dont l’étanchéité est surveillée en permanence.