Sécurité des approvisionnements en énergie
La définition standard de la sécurité d’approvisionnement s’exprime par « un flux d’approvisionnement en énergie répondant à la demande d’une manière et à un niveau de prix qui ne perturbent pas le cours de l’économie et soit durable du point de vue environnemental ». Le concept est vaste et multiforme. Il comporte des dimensions temporelles, spatiale et sociale. Il s’applique, avec des spécificités particulières, à l’électricité, au pétrole et au gaz naturel (Chevalier, 2006 ; Keppler, 2007 : Mandil, 2008). Que signifie le concept de sécurité des approvisionnements pour les trois blocs des grandes nations importatrices ?
– Aux Etats-Unis, lorsque George W. Bush a été élu pour la première fois en 2000, l’énergie était déjà une priorité, car la dépendance à l’égard du pétrole étranger avait connu une constante augmentation depuis le début des années 1970. Pour G. W. Bush, la réponse était simple et tournée vers l’offre.Dans l’optique; de Bush, très fortement inspirée par l’industrie pétrolière, l’Amérique avait besoin de nouvelles sources de pétrole et de gaz. Sur le plan intérieur, il convenait d’abroger les restrictions environnementales à l’exploration et à la production afin d’offrir de nouvelles opportunités à l’industrie pétrolière. Hors des frontières, les pays étrangers devaient comprendre qu’il était dans leur intérêt d’ouvrir leurs territoires aux investissements internationaux.
Le président a essayé de persuader son homologue mexicain d’ouvrir son territoire mais il aurait fallu changer la constitution. Ensuite, il y eut la guerre en Irak. Même si le pétrole n’a jamais été mentionné comme un motif de guerre, il a toujours été présent en toile de fond. Les positions américaines en Arabie Saoudite devenaient fragiles et un « Irak démocratique » aurait procuré une très bonne alternative. L’Irak est en effet le quatrième pays au monde en termes de réserves de pétrole ; de grandes parties du pays, très prometteuses, n’ont jamais été explorées et offriraient d’excellentes perspectives pour les compagnies pétrolières internationales. L’invasion américaine a tourné au désastre complet et continuera à exacerber les tensions internes dans le pays et dans la région pour longtemps. La misérable saga irakienne montre que le monde est un puzzle complexe où les oppositions ethniques et religieuses sont avivées par l’argent du pétrole et le nationalisme des ressources. Le puzzle requiert l’action diplomatique plutôt que de nouvelles guerres. Depuis l’échec irakien, les États-Unis sont davantage préoccupés par le développement des ressources nationales (pétrole, gaz non conventionnel, biocarburant, charbon, nucléaire) et la priorité stratégique devient de diversifier les sources d’approvisionnement. Toutefois, la dépendance au pétrole importé reste toujours en croissance rapide.
– L’Asie, avec les forts taux de croissance économique en Chine et en Inde, a besoin d’importer davantage de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Les volumes nécessaires sont en forte croissance. Les entreprises chinoises sont de plus en plus présentes dans tous les pays où il existe des possibilités d’extraction de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Ces entreprises offrent de meilleures conditions que les grandes compagnies pétrolières internationales ; elles ne sont guère gênées par les questions de corruption, de droits de l’Homme et de responsabilité environnementale. La Chine est particulièrement active en Afrique. Ainsi, l’Angola est maintenant son premier fournisseur de pétrole. Cette stratégie agressive pourrait fortement durcir la concurrence pour l’accès aux ressources. Une autre question préoccupante pour l’Asie est sa dépendance vis-à-vis des importations d’énergie par voie maritime. Pour la Chine, le Japon, la Corée et Taïwan, une grande partie des importations de pétrole, gaz et charbon sont déchargées sur la côte Pacifique. En outre, 80 % du pétrole destiné au Japon et à la Corée du Sud et près de 50 % de celui destiné à la Chine passent par les détroits d’Ormuz et de Malacca, qui constituent des points névralgique te vulnérables dans le transport maritime international. Cette situation explique les efforts des certains pays d’Asie pour développer de nouvelles voies d’approvisionnement terrestre contournant ces goulots d’étranglement pour atteindre les sources occidentales de pétrole et de gaz naturel : en Russie, en Iran et au Kazakhstan.
– L’Europe est aussi confrontée à une dépendance croissante à l’égard des énergies importées. Si rien n’est fait pour renforcer l’efficacité énergétique et améliorer la compétitivité de l’offre interne, environ 70 % des besoins de l’Union en énergie devront être importés en 2030, comparés à 50 % en 2007. La Commission Européenne plaide pour une politique énergétique volontariste visant à combiner compétitivité, sécurité de l’approvisionnement et développement durable. Les objectifs pour 2020 sont les suivants : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre améliorer de 20 % l’efficacité énergétique – porter la part des énergies renouvelables dans les bilans énergétiques à 20 %. En parallèle, la construction d’un marché unique européen pour le gaz et l’électricité devrait renforcer la sécurité des approvisionnements. Concernant la politique étrangère, l’Europe vise à « parler d’une seule voix » sur les questions énergétiques et environnementales et à renforcer sa coopération avec ses principaux fournisseurs d’énergie, en particulier pour le gaz naturel : la Russie, l’Algérie, la Libye. La dépendance à l’égard des approvisionnements en gaz pourrait être convertie en interdépendance, intérêt mutuel et coopération. Lorsque les gazoducs traversent plusieurs pays avant d’atteindre l’Europe, la coopération doit inclure ces pays de transit, afin d’éviter les crises du type de celles qui ont frappé les approvisionnements gaziers européens en raison des litiges entre la Russie et l’Ukraine.
La sécurité d’approvisionnement en énergie est un problème national et international. La sécurité du transit par les détroits névralgiques nécessite une prise en charge collective. Outre Ormuz et Malacca déjà mentionnés, il faut aussi sécuriser le passage par le canal de Suez, le détroit de Bab el Mandeb et le golfe l’Aden (mer Rouge — océan Indien), le Bosphore, qui demeure une voie d’exportation majeure pour le pétrole de Russie et de mer Caspienne. Les capacités de stockage constituent également un outil important pour la sécurité d’approvisionnement. Après le premier choc pétrolier et la création de l’Agence Internationale de PÉnergie (AIE), des stocks stratégiques de pétrole et de produits pétroliers ont été établis dans les pays membres de l’OCDE afin de pallier d’éventuelles ruptures d’approvisionnement. On s’attendait à ce que ces interruptions viennent de « zones à risque » mais en fait, l’utilisation la plus importante de ces stocks a eu lieu à l’automne 2005 après que les ouragans Katrina et Rita aient provoqué l’arrêt de 27 % de la production de pétrole des Etats-Unis ainsi que de 21 % de leur capacité de raffinage. La sécurité d’approvisionnement en énergie est donc un sujet lié, non seulement à la géopolitique, mais aussi aux aléas climatiques.