Grands fleuves et grands travaux : Le canal
Exception faite de quelques anomalies hydrauliques dont la plus remarquable est le Casiquiare, le canal est un ouvrage linéaire fait de main d’homme, tube ou tranchée à ciel ouvert empruntant éventuellement des ouvrages d’art, siphons ou aqueducs pour assurer la continuité de la pente et le transport de l’eau d’un point à un autre.
La réalisation de ces ouvrages a toujours posé de multiples problèmes tech- pÉjaes, à commencer par celui de la continuité des pentes qui a exigé la construction. des premiers grands ouvrages d’art romains, pont du Gard, ou aqueduc de Tunis. Le rachat des pentes n’a été résolu que beaucoup plus tard avec l’invenpartage des systèmes d’écluse. Enfin, le problème de l’alimentation des biefs de parage entre deux bassins, continue à poser des problèmes délicats, bien que le ¦ccours aux ascenseurs, aux pentes d’eau et aux grandes stations de pompages ait kporté des progrès décisifs en la matière.
Ingénieurs et architectes
Selon leur localisation par rapport aux axes fluviaux, on peut distinguer :
les canaux latéraux à des fleuves peu propices à la navigation, le prototype du genre restant le canal du Midi, parallèle à la Garonne, ouvert de 1665 à 1684
toujours en activité ; les canaux à biefs de restitution dérivés du bief de moulin mais dont le système rhodanien constitue le modèle le plus élaboré ;
- les canaux de contournement comme le canal Machine ouvert en 1825 en vue du contournement des rapides à l’amont de Montréal ;
- les canaux de jonction entre deux bassins fluviaux, longtemps limités au raccordement entre les bassins de petits fleuves en milieu peu accidenté (canal de Briare, canal de Bourgogne, canal Napoléon entre le Rhône et le Rhin ou canal du Midi en France, Great Junction entre la Tamise et la Severn en Grande-Bretagne). Pour la période contemporaine, la référence reste le canal Rhin-Main-Danube, ouvert en 1993 ;
- – les canaux de transferts inter bassins qui ne servent pas seulement à établir la jonction entre deux bassins mais qui dérivent des débits parfois importants d’un bassin à l’autre. Ce type d’ouvrage est fréquent dans les pays méditerranéens (Espagne, Italie) où il intéresse des fleuves de dimensions médiocres caractérisés par la faiblesse de leurs débits estivaux. S’agissant des grands fleuves, il existe moins de réalisations que de projets jugés dangereux comme le plan Davidov qui prévoyait de barrer les fleuves sibériens, de stocker leurs eaux dans une vaste « mer de Sibérie » et de les dériver en direction de la mer d’Aral et de la Caspienne. Dans un genre analogue, un projet californien prévoit la dérivation des eaux du Yukon vers le Sud, via un système de barrages et de stations de pompage passant par le Fraser, la Columbia et le Sacramento. Signalons enfin qu’il existe en France une dérivation importante, par prélèvement des eaux du Rhône au niveau de son delta et dérivation de ces eaux vers le Languedoc et le Roussillon. Il se pourrait qu’une partie du volume prélevé (maximum de 65 m3/s) aboutisse un jour à Barcelone.
- les canaux de dérivation qui prélèvent les eaux d’un fleuve sans transfert inter bassin et sans retour, comme le canal du Ivarakoram qui dérive les eaux de l’Amou-Daria vers les steppes désertiques du Turkménistan. Les multiples canaux qui transfèrent l’eau du Colorado vers la Californie relèvent du même genre.
Au plan technique, ces divers types posent toujours les mêmes problèmes •’entretien, de franchissement des obstacles par des ouvrages d’art appropriés et xirtout d’étanchéité. A cela s’ajoute dans les pays chauds, les pertes par évaporation. Aussi longtemps qu’un canal sert à la navigation, ces contraintes sont inéluctables et le canal reste un ouvrage à ciel ouvert. Mais dès lors qu’il s’agit simplement de transporter de l’eau, le tube peut s’avérer plus rentable, dans la mesure où il offre plus de garanties au plan de l’étanchéité et plus de facilités -•’agissant des emprises au sol et des ouvrages d’art.
Ces ouvrages, conçus par des ingénieurs-architectes, ont souvent une valeur patrimoniale non négligeable, qu’il s’agisse en Italie, des écluses ovales des vieux canaux lombards ou des villas vénitiennes qui jalonnent le canal de la Brenta ; en France, de l’élégant bassin du seuil de Naurouze, des ponts-canaux de Béziers ou de Briare, de l’écluse ronde de Cuffy ou tout simplement des chemins de halage riantés d’arbres. L’époque moderne n’est pas en reste et les écluses géantes du canal Welland ou du Mississippi, voire l’étonnante diversité des ponts hollandais – levants, tournants, coulissants – constituent autant d’attractions.
Du canal de navigation aux aménagements à buts multiples
Alors que les aqueducs romains servaient à conduire l’eau des sources vers les cités et que les canaux des Arabes s’inscrivaient dans la logique du bief de moulin dont les eaux servaient tour à tour aux habitants, aux ateliers des artisans puis aux agriculteurs des huertas, les canaux construits en Europe entre le XVIe et le XIXe siècle ont servi de façon presque exclusive aux transports lourds, voire au transport des voyageurs en des temps où les routes n’étaient ni bonnes ni sûres. L’avènement des chemins de fer a provoqué le déclin ou l’abandon de nombreux ouvrages et l’activité tend à se concentrer sur de rares canaux à grand gabarit implantés dans des régions industrielles réclamant des transports de masse, Rhénanie, moyenne Volga, canal Welland.
Les ouvrages les plus remarquables de l’époque actuelle servent moins à la navigation qu’au ravitaillement urbain et à l’irrigation. Parmi les plus remarquables, on retiendra ceux de l’Ouest des Etats-Unis, où le Colorado est saigné à la fois par des dérivations plus nombreuses qu’ostentoires, mais aussi deux grands ouvrages, le Colorado River Aqueduct qui dérive ses eaux vers la côte pacifique et fournit aux agglomérations californiennes le tiers de leurs besoins en eau potable, le Central Arizona Project qui transporte ses eaux vers les périmètres d’irrigation de l’Arizona.Dans l’ancienne URSS, on retiendra en particulier l’ampleur du canal Karakoumski qui prélève les eaux du Vachs près de la frontière afghane et les conduit à travers le désert turkmène, jusqu’à la ville d’Achkabad, distante de 850 kilomètres, avec un débit de 367 m3/s. On ignore et le volume des pertes liées à ce transfert et la rentabilité de cet ouvrage. En Roumanie, et avec une finalité plus complexe, le canal de Constantza reliant le Danube au niveau du coude Cernavoda au système portuaire de la mer Noire, constitue également un exploit technique remarquable puisque, avec une longueur de 58 kilomètres, il raccourcit de 400 kilomètres la distance à la mer, permet l’irrigation de 198 000 hectares dans la Dobrodjea et assure le refroidissement de la centrale nucléaire de Cernavoda (5 x 700 MW).
À une échelle spatiale beaucoup plus modeste, les ouvrages de dérivation- restitution du Rhône ne manquent pas d’intérêt, au moins sur le plan théorique, puisqu’il permettent à la fois de produire de l’électricité, de naviguer sur un fleuve réputé difficile, d’irriguer de vastes périmètres, de protéger des espaces urbains et de permettre la mise hors d’eau et la création de zones industrialo- portuaires. Us constituent le type même de l’aménagement à buts multiples.
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