La conservation des papiers: foxing papier
Les nombreuses menaces qui pèsent sur la conservation des papiers sont souvent le cauchemar des bibliothécaires et des archivistes. Certaines sont connues depuis toujours: menaces dues aux agents physiques (lumière, pollution atmosphérique, humidité et température, calamités comme les incendies ou les inondations) et aux agents biologiques (bactéries, champignons, insectes, rongeurs). Depuis un peu plus d’un siècle, une menace supplémentaire est apparue, liée aux techniques de fabrication du papier, en particulier le blanchiment au chlore, la présence de lignines et l’encollage avec des substances trop acides. On parle alors de « papiers acides » dont la conservation est très limitée dans le temps. Paradoxalement, les papiers chiffons très anciens, dépourvus de lignines au départ, sont souvent en meilleur état de conservation que des papiers récents.
Les sinistres naturels et accidentels
Ils créent d’énormes dégâts dans les archives, les bibliothèques et les musées. Le feu est l’un des fléaux les plus redoutables et a ravagé de prestigieuses collections (la bibliothèque centrale de Los Angeles en 1986, la bibliothèque de Saint-Pétersbourg en 1988, par exemple). Les remèdes sont variés : ils sont d’ordre préventif (mesures architecturales, contrôle du respect des consignes de sécurité) ou curatif (utilisation d’extincteurs). Souvent, l’eau est utilisée massivement pour éteindre l’incendie et les dommages qu’elle occasionne alors sont importants.
L’eau est en effet un agent de destruction du papier assez redouté et a été à l’origine de la perte d’ouvrages importants, par exemple à Florence et Venise en 1966, à Lisbonne en 1967 dans la collection Calouste Gulbenkian, au Texas en 1970 dans la bibliothèque universitaire de Corpus Christi. Dans ce cas, il faut procéder à un assèchement des papiers et des ouvrages avec le minimum de détérioration. Les remèdes sont nombreux (interfoliage, aspersion de talc, ventilations d’air chaud…), mais c’est la lyophilisation qui apparaît comme le moyen le plus approprié. Elle consiste à sécher un corps imbibé d’eau en conjuguant le froid et le vide: l’eau est congelée à très basse température et ensuite extraite par sublimation, c’est-à-dire passage direct de la glace à l’état de vapeur. Plus récemment, des traitements par micro-ondes ont été proposés comme une alternative efficace. Ils restent toutefois difficiles à utiliser pour des documents d’une certaine épaisseur.
Les agents biologiques
Ceux qui détériorent les collections sont variés. Les champignons sont particulièrement dévastateurs. Les altérations qui leur sont dues peuvent être relativement discrètes : c’est le cas des taches brunes du papier ou piqûres (foxing en anglais) souvent observées dans les livres anciens. L’apparition des taches brunes semble liée à la combinai- son de plusieurs phénomènes : une dégradation de la cellulose par hydrolyse fongique; une formation de mélanine, pigment brun foncé émanant de la sporulation du champignon; une formation de mélanoïdine, pigment noir résultant d’une réaction entre les sucres réducteurs libérés par l’hydrolyse fongique et les acides aminés provenant du métabolisme des champignons.
Les altérations peuvent être beaucoup plus graves. Les champignons susceptibles de provoquer de tels dégâts sont des eumycètes (Nectria, Chaetomium, Neurospora, Coriolus, Gyrophana, AspergiHus, Pénicillium, Fusarium).
Un exemple significatif est celui de Gyrophana lacrymans, plus communément appelé la mérule pleureuse. Dans la nature, la mérule est l’agent de pourriture cubique des bois, très destructeur des habitations et de ce qu’elles contiennent. À partir d’un point d’infection, des filaments tentacules se développent dans toutes les directions à grande vitesse en dévorant la cellulose. Ils ravagent totalement les matériaux organiques (cartons, papiers, cuirs, textiles) et parfois inorganiques (verre, béton). Ils peuvent traverser les murs en maçonnerie ou en briques, rien ne les arrête. Le mycélium forme une masse blanche ou gris sale qui peut envahir une pièce, voire un bâtiment. Sur le papier les dégâts provoqués par la mérule sont très importants et parfois l’objet n’est plus utilisable.
Les insectes sont aussi des agents destructeurs redoutables. Parmi les plus connus, on peut citer les lépismes ou poissons d’argent, les blattes des recoins sombres et humides des bibliothèques (elles sont lucifuges), les termites (prédateurs se nourrissant de bois, de papier, de cuir, de parchemin, de textile, d’ivoire, de corne et même de certains matériaux plastiques), les psoques ou poux des livres, les vrillettes et les capricornes capables de ravager des mètres linéaires de livres placés sur des étagères. Parmi les vertébrés, les rongeurs sont les plus aptes à occasionner des dégâts dans les bibliothèques : ce sont les rats surmulots, les rats noirs et la souris commune qui s’attaquent à toutes sortes de matériaux dont le papier, qu’ils déchiquètent et souillent de leurs excréments.
Les remèdes sont nombreux. Là encore ils peuvent être préventifs : utilisation du thymol ou de l’orthonitrophénol contre les champignons, utilisation d’organochlorés, d’organophosphorés, de carbamates ou autres insecticides. Les traitements curatifs peuvent être des procédés physiques ou chimiques ayant des propriétés bactéricides, fongicides et insecticides. Il faut absolument se débarrasser de toutes les spores de champignons et des œufs d’insectes pour que la désinfection soit reconnue efficace. De nombreux produits pourraient être employés à cet effet, mais ils sont en majorité nocifs aussi pour l’homme, les oeuvres et l’environnement. Ils doivent être utilisés dans des enceintes hermétiquement closes. À l’heure actuelle, à cause de cette toxicité et compte tenu des nouvelles réglementations, on favorise les procédés ne présentant aucun danger. Pour lutter contre les insectes, on utilise des atmosphères modifiées, par exemple appauvries en oxygène ou enrichies en gaz carbonique de façon à créer des conditions létales. La congélation est aussi une alternative élégante aux procédés chimiques. De telles méthodes sont peu coûteuses et il semble que leur efficacité a été démontrée.
L’acidité naturelle des papiers
Elle conduit à une destruction inquiétante du patrimoine accumulé depuis le milieu du XIXe siècle, depuis l’utilisation du bois comme matière première. La dégradation est visible: les papiers jaunissent, deviennent cassants ou friables et peuvent finir par tomber en poussière. Devant l’ampleur des dégâts dans nombre de bibliothèques et de salles d’archives, plusieurs procédés ont été mis au point, fondés sur l’imprégnation du papier par un produit actif alcalin injecté dans la substance des feuilles grâce à un vecteur fluide. Souvent, ces traitements se font dans des machines comportant un caisson de désacidification. Le coût des procédés mis en œuvre demeure relativement élevé et la désacidification de tous les papiers est loin d’être achevée.
Par ailleurs, combattre l’acidité du papier ne suffit pas. Il faut aussi ralentir le phénomène car une grande partie de la production écrite ou graphique est imprimée sur des papiers acides, donc avec des risques de détérioration à venir.
Il a donc fallu établir des normes de fabrication à l’échelle mondiale. La première norme internationale, approuvée en 1993, fixe les prescriptions pour qu’un papier destiné à l’établissement de documents soit « permanent ». C’est la norme ISO 9706 dont le symbole est représenté par le signe mathématique de l’infini dans un cercle surmontant la mention de la norme.
Pour être déclaré conforme à la norme ISO 9706, un papier doit répondre aux critères suivants :
- le pH de l’extrait aqueux de la pâte doit être compris entre 7,5 et 10 ;
- l’indice kappa de la pâte qui précise la résistance à l’oxydation doit être inférieur à 5 ;
- la réserve alcaline doit être supérieure ou égale à 2% d’équivalent de carbonate de calcium ;
- la résistance à la déchirure doit être supérieure à 350 milliNewton (mN) pour un papier dont le grammage est supérieur à 70 g.rrr2.
Actuellement, on ne sait pas fabriquer un papier « permanent » avec une pâte mécanique. Seules les pâtes chimiques permettent de répondre à la norme.
Vidéo : La conservation des papiers
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