Fibres papetières et environnement
L’impact environnemental de l’industrie papetière est un problème récurrent. D’utilisation quotidienne et à tous les âges de la vie, le papier est de plus en plus consommé dans le monde, même si des différences importantes existent entre les pays. La moyenne mondiale de consommation par tête d’habitant est actuellement de 53,7 kg par an.
Oui n’a pas entendu dire que la papeterie détruit les forêts et pollue l’atmosphère? Sans entrer dans le débat qui doit être mené à l’échelle internationale et qui n’est pas du ressort de cet ouvrage, nous allons analyser quelques conséquences écologiques de l’industrie papetière ainsi que les moyens mis en œuvre pour y remédier.
On connaît les problèmes dus aux rejets industriels liés à l’industrie papetière ; on ne peut oublier les émissions jaunâtres et nauséabondes qui ont largement pollué l’eau des rivières à proximité des moulins ou des papeteries. Les rejets industriels concernent surtout les pâtes chimiques et sont de deux types : les effluents liquides, dont les composés organochlorés qui résultent des techniques de blanchiment des pâtes, sont particulièrement montrés du doigt; les effluents gazeux, dont les composés soufrés volatils, émis lors des opérations de cuisson et de combustion des pâtes (anhydride sulfureux S02, mercaptans et hydrogène sulfuré SH2, poussières composées de sulfate et de carbonate de calcium).
Le traitement des effluents liquides
Dès 1970, des tentatives d’amélioration ont été amorcées, en particulier en France, sous la pression des écologistes. Dans les années 1980, une sensibilisation de l’opinion publique a multiplié dans de nombreux pays les actions permettant de limiter les rejets industriels. L’industrie papetière française rejette aujourd’hui beaucoup moins de matières organiques (ou oxydables) et de matières en suspension dans les eaux qu’en 1980, alors que la production de papiers et cartons a significativement augmenté. Globalement, on estime qu’il y a eu une réduction de 80 % des rejets des usines dans les cours d’eau en France en vingt ans.
Parmi les multiples actions, on notera la valorisation interne de l’eau (recyclage), la valorisation des sous-produits de fabrication (écorces, boues de station d’épuration), le traitement des eaux usées (décantation, attaque biologique à l’aide de micro-organismes dans des bassins ou par lagunage, traitement chimique de décoloration). Les sous-produits papetiers qui ne peuvent pas être utilisés sur le site de production font aussi l’objet, dès que cela est possible, d’une valorisation agricole par épandage ou d’une valorisation énergétique (en briqueterie ou en cimenterie, par exemple).
Les composés organochlorés. L’oxydation par les réactifs chlorés des lignines résiduelles entraîne une pollution spécifique qui a obligé l’industrie papetière à s’engager dans de profondes transformations. Le chlore a un pouvoir oxydant très élevé; les lignines sont dissoutes, la cellulose est peu endommagée et le coût est relativement faible. Il est donc le meilleur agent de blanchiment, mais il provoque une solubilisation partielle des lignines sous forme de composés organochlorés solubles dont la teneur est mesurée en taux d’AOX (Adsorbable Organic Halogens, X signifiant halogène, généralement le chlore). Le taux d’AOX est la quantité d’organochlorés adsorbée par le charbon actif. Les propriétés toxiques des AOX sont évidentes. La présence dans ces composés de dioxines a été à l’origine de très nombreuses discussions, car ces molécules sont hautement cancérigènes et responsables de déséquilibres écologiques et physiologiques graves, en particulier chez les poissons dont le comportement sexuel est altéré. L’enjeu est donc de faire tomber les AOX.
Deux types de moyens sont employés dans ce combat :
- l’utilisation du chlore sous une forme combinée, par exemple le dioxyde de chlore (CI02) moins toxique que le chlore gazeux. Le papier obtenu avec ce procédé est appelé ECF (Elementary Chlorine Free paper ou « papier ne contenant pas de chlore élémentaire ») ;
- le remplacement du chlore gazeux par des réactifs oxygénés (oxygène, eau oxygénée, ozone). L’oxygène (02), non toxique, a pour inconvénient d’altérer les fibres de cellulose. L’eau oxygénée est un produit inoffensif : elle n’enlève pas les lignines, mais convertit une partie de la molécule en une forme incolore. L’ozone (03) crée des groupements hydrophiles et rend les lignines plus solubles, mais le procédé est encore relativement coûteux. Le papier obtenu selon ces procédés est appelé TCF (Totally Chlorine Free paper ou « papier ne contenant pas du tout de chlore»). En fait, le terme est un peu erroné car tout bois contient naturellement des dérivés organiques du chlore. Il est donc techniquement impossible de produire du papier entièrement exempt de chlore.
Actuellement, l’objectif semble partiellement atteint: à la sortie des usines modernes, le taux d’AOX est inférieur à i kg par tonne, alors qu’il était autrefois de 10 kg. Il l’est encore dans certaines usines non réaménagées. En Finlande, pays d’Europe très concerné par l’industrie des pâtes à papier, le taux d’AOX a diminué de façon significative vers 1990.
L’idéal serait d’arriver à la production de papiers sans effluents ou au moins avec le minimum d’effluents. L’obtention de TEF (Totally Effluent Free papers, «papiers sans effluents») est d’ailleurs un objectif de recherche, mais cela suppose que tous les liquides soient recyclés dans l’usine même.
Le traitement des effluents gazeux
Les rejets gazeux ont été aussi sensiblement diminués. Ainsi, les poussières émises lors de la combustion des liqueurs noires sont retenues par des électrofiltres. Des laveurs de gaz sont installés à la sortie des fours, participant à la régénération des produits chimiques de cuisson, de façon à réduire notablement la pollution particulaire. Les composés soufrés volatils malodorants sont collectés et dirigés vers une installation de combustion.
L’industrie papetière est très concernée par les débats sur l’effet de serre en tant que productrice de dioxyde de carbone (C02), dont l’accumulation
dans l’atmosphère serait un agent favorisant. En France, un travail de concertation avec les pouvoirs publics a permis la mise en place en 2005 d’un Plan national d’affectation des quotas de C02 (PNAO) pour les sites industriels [Journal officiel, 26 février 2005). Une prise de conscience et des changements de comportement s’amorcent dans certains pays d’Europe et au Canada, mais ils restent souvent trop localisés et loin d’être entendus ou acceptés à l’échelle planétaire.
L’impact sur la consommation d’énergie
L’énergie est indispensable à la production. Ces dernières années des progrès ont été effectués en matière d’efficacité énergétique, en récupérant la chaleur de la vapeur d’eau, en utilisant l’eau chaude condensée dans les cylindres sécheurs et surtout en utilisant de plus en plus des énergies dites «propres», comme la houille blanche, l’électricité et le gaz, plutôt que des combustibles fortement émetteurs de C02 (charbon, fuel). Sur le plan énergétique, une spécificité forte du secteur est d’utiliser largement de la biomasse (écorces, sous-produits du bois), donc une ressource indéfiniment renouvelable et non pas fossile. Cette utilisation de la biomasse peut représenter, au moins dans certains pays, 40% voire plus de la consommation d’énergie du secteur. Certains papetiers n’hésitent pas à parler de l’industrie papetière comme d’un secteur industriel d’énergie «verte » !
L’impact sur la forêt
L’industrie papetière est une grande consommatrice de bois. La forêt a une valeur patrimoniale et sa préservation est au cœur du débat pour l’équilibre écologique de la planète. Il est d’usage de dire que cette industrie participe à la gestion de la forêt en consommant les bois d’éclaircie et les houppiers ainsi que les sous-produits des scieries impropres à tout autre usage. C’est peut-être vrai en certains points du monde où une politique de gestion durable de la forêt est à l’œuvre. C’est moins vrai ailleurs soit parce que l’équilibre écologique mondial n’est pas une question prioritaire, soit pour des raisons liées à l’urgence de la survie, comme c’est souvent le cas dans les pays dits en voie de développement. Il est important d’organiser à l’échelle mondiale une sylviculture efficace. Par sylviculture, on entend, selon la définition du dictionnaire, « l’exploitation rationnelle des arbres forestiers » qui implique une gestion cohérente, tant au niveau des coupes que des replantations. Jusqu’à présent, la tendance a été plutôt de pratiquer de vastes coupes à blanc et des replantations monospécifiques (soit peupliers, soit pins, soit épicéas, soit eucalyptus). Pour les exploitations papetières, c’est évidemment plus facile à gérer et plus rentable. Mais, on sait que les forêts monospécifiques sont une menace pour la biodiversité (perte des espèces, déséquilibre des écosystèmes, risques d’attaques parasitaires à grande échelle). Dans une sylviculture « durable », il paraît indispensable de ménager à la fois des parcelles exploitables par les forestiers pour l’industrie papetière et des parcelles non exploitables contenant des bois à essences mixtes.
Des remèdes à développer
Les techniques de recyclage et les aspects économiques ont déjà été abordés. Le recyclage des papiers et cartons a été proposé au départ comme une alternative à la déforestation. En fait, il est assez récent: «papiers recyclés, arbres sauvés » était un slogan en vogue dans les années 1970. Si le recyclage contribue à réduire la consommation effrénée de bois, il participe aussi largement à la gestion des déchets et évite donc les impacts environnementaux qui leur sont associés. Ainsi, il réduit la production de méthane (gaz généré par la mise en décharge) ou celle de C02 (occasionnée par l’incinération). En réutilisant la matière des papiers et cartons, le recyclage permet de créer un réservoir permanent et croissant de fibres disponibles, sans cesse renouvelées et stockant le carbone sous forme de cellulose.
Le biopulping
L’utilisation de champignons ou de leurs enzymes concerne essentiellement le blanchiment des pâtes à papier. C’est un domaine de recherche où de nombreux laboratoires sont engagés et qui reste très expérimental. Deux types d’enzymes font l’objet de ces recherches.
– Les enzymes lignolytiques, parfois appelées ligninases, et susceptibles de dégrader les composés ligno-cellulosiques du bois. Elles sont produites par des champignons dits «de la pourriture molle, brune et blanche». Parmi toutes les espèces concernées, seuls les champignons de la pourriture blanche sont capables de dégrader totalement les lignines du bois ; ce sont surtout des basidiomycètes: Phanerochaete chrysosporium, Coriolus versicolor, Phlebia tremellosus, Phlebia radiata.
Dans la perspective du biopulping, différents essais peuvent être effectués: soit on utilise le champignon lui-même, soit on utilise une (ou plusieurs) enzyme(s) produite(s) par le champignon, parmi lesquelles la lignine peroxydase, la manganèse peroxydase et les laccases obtenues à partir de filtrats de culture. Sur les images ci-dessous, on peut voir l’action de déamination d’une pâte kraft écrue mise en présence de manganèse peroxydase :
les parois des fibres de la pâte sont désincrustées faisant apparaître la trame cellulosique qui devient accessible.
– Les xylanases, c’est-à-dire les hémicellulases qui attaquent les xylanes présentes à la surface des microfibrilles de cellulose. L’hydrolyse partielle par certaines xylanases libère des fragments ligneux et facilite l’accès des produits chimiques pour les lignines résiduelles.
De tels traitements participent au blanchiment des pâtes tout en limitant l’utilisation de réactifs chimiques.
La transgenèse
Pour l’industrie papetière, l’enjeu de la transgenèse ou transformation génétique est de pouvoir moduler la teneur et la composition des lignines présentes dans le bois. Ces dernières années, des progrès considérables ont été réalisés sur la caractérisation des gènes codant les enzymes de la chaîne de biosynthèse des lignines). Il devient donc possible d’envisager de produire des arbres transgéniques dont les lignines sont modifiées pour optimiser les productions destinées à l’industrie papetière. C’est l’objet de programmes de recherche de plusieurs groupes internationaux. Elles sont le plus souvent effectuées sur le peuplier ainsi que sur des plantes modèles, comme le tabac et l’arabette, outils privilégiés des généticiens.
Plusieurs enzymes ont servi de cibles dans ces essais : les enzymes des étapes finales de la biosynthèse des lignines (fig. 267, CAD ou CCR) ou des enzymes plus en amont de cette chaîne. Des essais ont même été réalisés en tout début de chaîne sur la phénylalanine ammonia-lyase ou PAL. Les résultats sont résumés dans le tableau ci- dessus. Ils montrent que souvent la teneur en lignines reste la même, mais que la proportion des différentes lignines est changée avec des conséquences sur les propriétés d’extractibilité. Par ailleurs, on altère au passage de nombreux autres caractères comme la couleur du bois, la croissance de l’arbre et sa résistance aux bio-agresseurs.
Ces arbres à lignines modifiées sont évalués en champ depuis plusieurs années et des microcuissons de pâte à papier sont effectuées à partir de ce matériel: elles révèlent une économie de produits de blanchiment, une pollution moindre et l’obtention de papier de meilleure qualité, mais il faudra sans doute encore beaucoup d’études et d’expérimentations avant de pouvoir passer à l’échelle industrielle.
Vidéo : Fibres papetières et environnement
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