Évolution technique,industrialisation de l'alimentation et nouvelle cuisine
Les façons de boire et de manger se transforment très vite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La productivité du travail dans l’agriculture et l’élevage s’est rapidement élevée, mais cela n’a été possible qu’à travers une standardisation poussée. Il en est résulté l’abandon de produits dont les qualités gustatives étaient remarquables, mais les rendements faibles.
L’industrialisation pénètre dans les cuisines : les produits achetés sont conditionnés. Leur préparation demande de moins en moins d’opérations : on achète des filets de poisson, des beefsteacks hâchés, de la purée mousseline en poudre, des frites surgelées ou du riz pré-cuit : seule subsiste la phase ultime de la préparation. Avec les plats surgelés, la manipulation du bouton du micro-onde suffit : le plat est prêt à mettre dans l’assiette.
L’évolution touche plus encore la restauration, puisque c’est là qu’il est le plus facile d’obtenir des économies d’échelle. Les fastfoods doivent à cela de mieux valoriser le mètre carré que n’importe quelle autre forme d’activité dans les quartiers où confluent les gens. L’éducation du goût que proposait l’alimentation traditionnelle disparaît et les manières de table se simplifient : dans beaucoup de cas, la fourchette et le couteau ne servent plus ; on en revient à une forme de tranchoir.
On ne boit plus guère de vin dans ces repas : on consomme des jus de fruit, des sodas ou des eaux minérales. La bière, produit très industrialisé et standardisé, trouve grâce auprès de consommateurs qui n’ont reçu aucune éducation du goût.
La cuisine de masse tue la cuisine populaire, mais parallèlement le goût d’apprêter les repas renaît comme une activité ludique, pour laquelle rien n’est trop cher tant la qualité des ingrédients paraît fondamentale. Le temps ne compte pas non plus, car cette activité demeure exceptionnelle. Les recettes les plus complexes ne font pas peur : les ouvrages de cuisine se multiplient, comme les revues spécialisées. Ils décrivent avec un grand luxe de détails et de photographies, les opérations à conduire et les produits à obtenir. La télévision a senti depuis longtemps qu’il y avait là un créneau porteur : elle propose aujourd’hui des émissions où un chef de renom prépare les produits sous vos yeux.
Face aux filières de production de masse, il y a donc place pour des circuits qui jouent sur la qualité et l’absence de traitement chimique. La mode est à la santé : la cuisine à la mode est donc plus légère que celle du xixe siècle. La peur du cholestérol fait mettre à l’index les matières grasses, celles d’origine animale en particulier, ou en restreint l’emploi. Comme les idées et les hommes voyagent facilement dans le monde d’aujourd’hui, les grands cuisiniers partis pour faire connaître le savoir-faire français au Japon ont été séduits par le sens du naturel de la cuisine japonaise et la qualité artistique de la présentation des plats. La nouvelle cuisine en est née.
La proportion de femmes qui travaillent à l’extérieur ne cesse de croître. Elles n’arriveraient pas à faire face à toutes leurs obligations si elles n’avaient recours aux produits pré-conditionnés ou aux surgelés. Lorsque vient le weekend, ou les soirs où l’on a envie de sortir du train-train habituel, il y a le traiteur (les maisons qui livrent les pizzas à domicile font fortune) ou le restaurant.
La restauration n’a jamais été aussi active (Huetz et Pitte, 1990). Les restaurants « ethniques », chinois, grec, espagnol, italien, etc., font sortir de la mono¬tonie des rythmes quotidiens et aident à échapper à l’environnement proche. Il y a place aussi pour des restaurants haut de gamme. Les décors xixe ou modem style sont appréciés, mais plus pour les mêmes raisons que jadis : la grande cuisine bourgeoise et les décors qui l’accompagnent sont désormais perçus comme une cuisine « ethnique », celle d’un passé pas très lointain, mais révolu. Ils ont cessé d’être l’expression d’un art de vivre qui échapperait aux déterminations du lieu et du temps.
La transformation contemporaine des habitudes et des goûts alimentaires montre à quel point les cultures changent sous l’impact de la mondialisation, des techniques nouvelles de conservation et de préparation, et de l’émergence de styles de vie inédits. « Nous sommes ce que nous mangeons », comme le rappelle un ouvrage récent (Bell et Valentine, 1997).