Grands travaux et grands impacts : Des coûts difficiles à évaluer
Des coûts difficiles à évaluer
La remise en cause des grands travaux constitue un exercice à la mode, avec pour principaux attendus, l’évaluation discutable des coûts d’implantation, la sous-estimation des taux d’emprunt et la surestimation des bénéfices attendus, la sous-évaluation ou l’omission des coûts d’impact, le passage par profits et pertes de la valeur et des potentialités des terres envoyées, le caractère illusoire de certaines protections. Ces remises en cause ont été consignées dans divers ouvrages dont la rigueur n’égale pas toujours le zèle militant. Certains arguments n’en méritent pas moins d’être pris en considération et discutés.
Les difficultés commencent au niveau des avant-projets avec des évaluations du rapport coût/bénéfices qui peuvent différer de façon considérable, selon les critères pris en compte. Dans la limite de l’espace français, la référence au canal Rhône-Rhin s’impose au vu des écarts d’évaluations entre la Compagnie Nationale du Rhône proposant un coût de 19,3 milliards de francs et le Conseil des Ponts et Chaussées qui, travaillant sur les mêmes données fixait ce coût à 49 milliards. Il est vrai que dans un cas, l’évaluation ne portait que sur les dépenses immédiatement engagées, alors que dans l’autre les taxes, impôts et frais financiers étaient largement comptabilisés. Tout serait alors affaire de présentation. Les calculs d’amortissement se prêtent aux mêmes manipulations et la rentabilité comparée de deux centrales thermique et hydraulique peut s’inverser en faveur de l’une ou de l’autre selon les délais retenus : sur dix ans, la centrale hydraulique est perdante, sur trente ans elle ne l’est plus.
Les expertises sur l’utilisation et la rentabilité des ouvrages diffèrent de façon non moins excessive. S’agissant d’un canal, tel expert retiendra une aire d’attraction plus ou moins vaste et A. Bonnefous s’est étonné à bon droit de ce que l’aire d’attraction du canal Rhône-Rhin calculée par un bureau d’études complaisant, englobait le Lot-et-Garonne. Sur un autre registre, l’attractivité sur les implantations industrielles est également surévaluée, comme le montrent les prévisions faites par les bureaux d’études brésiliens à propos de la centrale de Tucurui qui devait attirer autour de quelques industries de base, de nombreux sous-traitants que nul n’a jamais vu cependant que l’activité des industries de base n’a jamais atteint le niveau escompté.
Mais c’est finalement sur l’irrigation, que les avis divergent le plus et P. Beaumont a beau jeu de montrer que dans le cas de l’Egypte, le volume d’eau nécessaire à l’irrigation d’un hectare est trop important du seul fait de la gratuité de l’eau. Le même raisonnement pourrait être plus ou moins repris dans bien des cas et il est certain que si l’eau d’irrigation était cédée à son juste prix (incluant les frais de transport à la parcelle, de colature, de dépollution des nappes en sus d’une quote-part raisonnable dans les frais d’amortissement des grands ouvrages), les problèmes européens de surproduction des céréales seraient immédiatement résolus par le cumul de la baisse des rendements et de la réduction des surfaces arrosées.
Au-delà de ces exemples sectoriels, trois critiques fondamentales peuvent être faites en matière de gestion des ressources hydrauliques :
- l’eau est évaluée à un coût très faible et, dans le cas des pays de droit coranique, elle est même censée appartenir à la communauté et ne pas avoir de prix. Cette sous-évaluation fait que la cession de l’eau à tel ou tel secteur d’activité ne contribue pas directement à l’amortissement des grands ouvrages ;
- parce qu’elle est un bien commun, l’eau est souvent gérée et mise en valeur dans le cadre d’organismes d’État qui se préoccupent peu de rentabiliser les investissements qu’ils gèrent. L’aide aux pays en voie de développement donne à ceux-ci une impression de gratuité qui incite au gaspillage des crédits et de l’eau ;
- le partage de la gestion et de la valorisation de la ressource entre de multiples organismes qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs économiques, sociaux et environnementaux introduit des distorsions considérables dans l’évaluation des coûts et des délais d’amortissement.
Au-delà de ces critiques, un constat. De façon très normale, que ce soit à l’échelle de tel fleuve ou à l’échelle planétaire, ce sont les sites les plus facilement exploitables ou les plus rentables qui ont été aménagés les premiers. Plus le temps passera et plus les contextes spatiaux des grands aménagements se feront difficiles, que ce soit pour des raisons climatiques, d’altitude ou de marginalisation spatiale. Simultanément, la rentabilité de ces ouvrages sera de plus en plus problématique. Cela sans parler des problèmes environnementaux qui prennent souvent une ampleur dramatique dans les espaces marginaux.
Face à ces critiques, il est toujours possible de montrer que la gestion de l’eau peut être un moteur économique, un régulateur social et un instrument de strurturation de l’espace, toutes données qui ne peuvent être prises en compte dans les comptabilités nationales, que de façon subjective.
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