La communication asymétrique : télévision, société de consommation et cultures de masse
Les mass médias (chaînes de radio et de télévision) sont des moyens de communication dissymétriques : un groupe restreint de professionnels maîtrise la fabrication de programmes diffusés vers des millions d’auditeurs ou de spectateurs. De grandes firmes ou les gouvernements recrutent et rémunèrent ces personnels : cela leur ouvre de multiples possibilités d’influence sur l’opinion publique.
Les puissants moyens de diffusion qu’offrent les médias modernes se jouent des frontières culturelles ou politiques ; ils ont un impact important sur l’acculturation des jeunes et de l’ensemble des populations : les modèles culturels diffusés par la télévision ou la radio concurrencent ceux qui sont transmis par la famille et par l’école (McLuhan, 1968). La possibilité de s’adresser à l’ensemble de la population donne à ces moyens une importance politique et stratégique considérable (Zybelberg, 1986).
Beaucoup d’entreprises privées sont prêtes à verser des sommes énormes pour que passe à l’antenne, durant quelques secondes, un petit spot qui incite les gens à acheter leurs produits ou leurs services. Les produits de consommation sont particulièrement concernés. L’impact de la publicité télévisuelle sur la vente est tel que les très courts films qui vantent telle ou telle marque deviennent la raison même de tout le système. Ce sont de petits chefs-d’œuvre de technique et de psychologie, encadrés dans des émissions susceptibles de plaire à un public nombreux. Il s’agit de retenir les clients potentiels par l’émotion. L’amour, le sexe, le rire, la violence, le drame, tout ce qui provoque les réactions les plus instinctives et les plus fortes, forment la trame des programmes les plus suivis. Blue jeans et Coca Cola, rock, violence et impudeur, telle est la caricature de la culture universaliste diffusée sur l’écran.
Les modèles de consommation plus ou moins simplifiés sont séduisants. Conduire une voiture, utiliser un appareil de photo, absorber des médicaments, c’est facile. Mais produire, distribuer, entretenir, perfectionner, tout cela pose sans cesse d’autres problèmes. Les médias modernes rendent possible l’imitation de gestes simples pour des productions individualisées, mais les savoir-faire productifs sont trop complexes pour être transmis de la sorte. Ils demandent à la fois des connaissances théoriques qui s’apprennent à tête reposée dans les livres, et des gestes si différenciés que s’ils ne sont pas répétés mille fois en vraie grandeur sous l’œil et avec le conseil du maître, ils ne peuvent être acquis.
On peut rêver de remplacer l’école avec ses contraintes de bâtiments, de déplacements, de multiplicité coûteuse des enseignants, par un système de cours télé¬visés ou de cassettes bien fabriqués qui arriveraient dans chaque maison (Lazar, 1985). Cela est possible et se fait pour desservir les familles très dispersées, en Australie par exemple. Mais cela doit être accompagné d’un suivi personnel par un membre de la famille, ou lors de rencontres sporadiques avec des enseignants.
Harassement de la vie de relation et médias interactifs
Aux mass médias s’opposent les médias interactifs. Le téléphone, couplé de plus en plus avec l’ordinateur (télématique) et le fax, met en relation directe à distance des individus, personnes privées ou entreprises. La parole, mais aussi l’écrit sur écran ou papier, peuvent être transmis. Le vidéophone transmet l’image cl permet l’installation de salles de téléconférences. La portée de ces systèmes est mondiale, mais la densité des équipements individuels et des relations est surtout lui le dans les pays riches.
Le téléphone permet des échanges parlés entre deux individus, parfois trois ou quatre. Ce sont des échanges symétriques d’informations qui peuvent s’enrichir |MI plusieurs allers et retours. On conserve une part appréciable de la qualité des échange face-à-face. Il manque cependant la richesse des gestes et de la mimique, la vérité du regard.
Le téléphone permet les conversations familiales à distance ; de ce point de vue, il peut être considéré comme un moyen de garder des contacts en ces temps où tant de familles sont dispersées et de maintenir loin des siens certains traits de la culture traditionnelle.
Le téléphone tient aussi une place considérable dans le fonctionnement des grands organisations qui peuvent maintenir entre leurs membres les contacts indispensables quel que soit l’éloignement. Son rôle est complémentaire, dans ce domaine, de celui de la télématique, qui permet de stocker, classer, traiter et expédier une quantité prodigieuse d’informations à distance
Les médias interactifs ont sans doute plus d’influence que la télévision dans I émergence d’une culture mondiale, au moins au plan de l’économie.
Monopole de l’accès à l’information et autorité
Des effets d’asymétrie, d’influence ou de pouvoir dans les relations humaines naissent de l’inégal accès des acteurs sociaux à la Vérité. Dans les sociétés orales, les gens croient généralement qu’à l’origine des temps, le monde était transparent : les choses, les bêtes et les hommes y conversaient naturellement ; le sens de la vie y était évident. Accéder à la Vérité, c’était savoir ce qui se passait .ni temps indéfini de la création — celui de l’immémorial, indatable. Les Anciens détenaient donc une position privilégiée, puisqu’ils étaient porteurs de la mémoire longue du groupe, celle qui naît des témoignages rapportés et celle qui est issue de l’immémorial. L’autorité revient naturellement à ceux qui peuvent parler des temps révolus. Dans la vie sociale, c’est l’ancienneté et la tradition qui confèrent aux idées, aux pratiques et aux croyances leur validité.
L’écriture crée de nouvelles configurations. Le prophète reçoit le message de Dieu, le transcrit et le transmet aux hommes. Il est l’instrument du sacré, dont il reçoit autorité. Dans la civilisation grecque et dans celles qui s’en inspirent, le philosophe joue un rôle analogue, puisqu’il a accès à la sphère de la Raison métaphysique.
Les résultats obtenus dès le xviie siècle grâce à la démarche scientifique montrent que la Vérité ne se situe pas dans un autre monde, mais dans le nôtre : il suffit, pour y accéder, d’observer, de formuler des hypothèses et de les soumettre à l’expérience.
La réflexion sur la société s’inscrit dans le nouveau contexte de la science, mais elle s’appuie sur les courts récits inclus dans les grands textes fondateurs, comme le Léviathan de Hobbes ou Le Discours sur I ’ origine et les fondements de l ’inégalité parmi les hommes de Rousseau, pour proposer une philosophie du progrès qui situe la Vérité dans le futur de l’Utopie. Pour un temps, c’est du côté de l’histoire et des sciences sociales que se situe l’autorité.
Il n’est plus possible aujourd’hui au commun des mortels, et même au public éclairé, de suivre le mouvement de la recherche tant celle-ci est devenue complexe. L’autorité revient donc aux vulgarisateurs et aux journalistes qui font profession de traduire en langage simple les résultats de la science. Sur le web, c’est aux sites des chercheurs « indépendants », ceux qui ne sont pas rémunérés par les administrations publiques ou les grandes sociétés que l’on s’adresse. Ce sont eux qui « garantissent » souvent la validité du discours écologique.
Les processus de communication ne se contentent pas de donner à certains le moyen d’influencer sur les opinions des autres. Ils confèrent à ceux qui ont un commerce direct avec la Vérité un statut d’exception : ils leur donnent le pouvoir de donner un sens à la vie et au monde.
Vidéo : La communication asymétrique : télévision, société de consommation et cultures de masse
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