Les logiques à l'oeuvre dans la struturation de l'espace humanisé
Les logiques de la production primaire
L’espace est le support des activités productives des groupes humains. Cela débute par l’exploitation des milieux naturels par la cueillette, la chasse, la pêche ou la foresterie, et continue par l’utilisation pastorale des herbages et la mise en valeur agricole d’espaces préalablement défrichés. Comme ces productions primaires résultent de l’utilisation d’une énergie diffuse, celle du soleil, elles mobilisent de vastes espaces. Les lieux de résidence de ceux qui sont engagés dans ces activités sont répartis sur l’ensemble de ces aires. Il arrive aussi que les groupes migrent partiellement ou totalement pour s’adapter à la succession des terroirs mis à contribution : c’est le cas de la transhumance ou du nomadisme.
Les formes que revêtent ces activités primaires dépendent des outillages dont les groupes disposent. Dans les parties du monde tropical où l’agriculture repose sur le travail à la houe, un individu a de la peine à défricher et à mettre en valeur plus d’un demi-hectare par an : il cultive 1 hectare ou 1,5 hectare selon que chaque champ donne deux ou trois récoltes avant d’être abandonné. Dans les agricultures à la charrue, l’exploitation qui permet de tirer pleinement parti d’une paire de bêtes de travail s’étend sur 5, 10, 20 ou 30 hectares, selon la fertilité des sols.
L’organisation permanente de l’espace agricole (Meynier, 1966 ; Lebeau, 1969) implique que les restitutions indispensables au maintien de la fertilité soient effectuées : longue jachère herbacée ou forestière dans les pays où l’on travaille à la houe ; ailleurs jachère pâturée des terres un an sur deux ou sur trois ; culture continue là où les restitutions proviennent d’un vaste domaine pâturé extérieur (systèmes à infield-outfield), ou d’assolements incluant des plantes nettoyantes et fertilisantes, et des plantes fourragères (en Europe occidentale à partir de la première révolution agricole, au xviiie siècle). Dans les rizicultures inondées d’Extrême-Orient, la fixation par des bactéries de l’azote atmosphérique et le recyclage de l’essentiel des éléments exportés aboutissent au même résultat.
La mécanisation fait changer l’échelle des opérations qu’un individu ou une famille peut entreprendre et implique généralement le regroupement des parcelles. L’aspect traditionnel des paysages ruraux s’en trouve transformé.
Les logiques des activités de transformation
Les activités de transformation n’ont besoin que d’emprises au sol beaucoup plus réduites : celles-ci ne constituent que très rarement la trame dominante du paysage. Là même où elles sont particulièrement denses, elles sont mêlées de zones où loge la main-d’œuvre qu’elles emploient.
Les ateliers ou usines doivent être structurés pour faciliter le déroulement des opérations successives nécessaires à la production, assurer la distribution de l’énergie utilisée et fournir aux ouvriers des postes de travail qui leur conviennent : il y a donc une micro-géographie interne aux bâtiments où s’effectuent les transformations. D’un point de vue plus général, les localisations optimales tiennent compte des coûts d’acheminement de l’énergie et des matières premières, puis de ceux des produits fabriqués jusqu’au marché, de la présence d’une main-d’œuvre qualifiée, de la maîtrise locale des savoir-faire techniques, et des coûts de communication avec les fournisseurs, les clients et les autres établissements de la firme.
La localisation de la force de travail joue un rôle décisif dans la logique des implantations à l’époque pré-industrielle ; elle favorise souvent la dispersion des métiers dans les zones rurales.
La maîtrise de formes d’énergie de plus en plus concentrées réduit le nombre de sites où sont menées les fabrications pour tirer parti des économies d’échelle ; l’activité industrielle prend une forme urbaine.
Les logiques des activités de service et de distribution
Distribuer les biens obtenus par l’agriculture ou par l’industrie implique des aires et des bâtiments de conditionnement et de stockage, mais les emprises en sont toujours limitées. Ce qui compte, c’est d’avoir un accès facile au réseau général de transport de marchandises et de circulation des informations : l’espace de la distribution est fait de trames hiérarchisées de voies et de nœuds .1;ces réseaux commandent les implantations retenues.
Lproblèmes que posent les activités de service sont du même type : il s’agit de faciliter la rencontre de ceux qui ont besoin d’une prestation, et de ceux qui sont capables de la fournir. Pour être accessibles à un nombre suffisant de demandeurs, le spécialiste doit s’installer en un point vers lesquels les voies convergent et où les gens se rendent aussi pour d’autres services.
Logiques productives et humanisation de l’espace
Les logiques productives conduisent à des niveaux très contrastés de transformation des espaces humanisés : immenses solitudes dévolues à la cueillette ; espaces agricoles où bois, prés et champs occupent l’essentiel de l’étendue, et où les habitats sont nombreux ; noyaux densément peuplés des régions industrielles et des foyers de communication. En fonction du niveau technique, la part de la population employée dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire varie : l’importance et les formes de l’emprise humaine sur le territoire dépendent donc des moyens que les groupes savent mobiliser pour mettre en valeur les ressources dont ils ont besoin, et de leur aptitude à utiliser des énergies concentrées. Ce sont les aspects rationnels, techniques et économiques de la culture qui se lisent là (Claval, 1981).
Vie sociale et organisation de l’espace humanisé
L’espace humanisé est également organisé pour permettre aux hommes de vivre comme il le convient dans un contexte culturel donné. Les individus passent une partie de leur temps au sein de groupes domestiques, généralement familiaux, où ils dorment, se reposent, s’occupent de leurs enfants et se livrent aux tâches nécessaires pour l’entretien du logement et la préparation des repas.
Les lieux où se déroulent les activités professionnelles ne doivent pas être trop éloignés du domicile : le temps que chacun accepte de consacrer à ses déplacements de travail ne varie guère au sein d’une même culture. L’accélération des transports publics et individuels bouleverse donc, depuis un siècle, la distribution îles activités et des hommes : une certaine dissociation du domicile et du travail est devenue possible.
La vie sociale et les rencontres multiples qu’elle implique se déroulent à des échelles emboîtées, celle du voisinage, du village ou du quartier, et celle du pays ou de la ville. Tant que les déplacements sont lents, c’est au niveau le plus proche qu’il est possible de faire l’expérience de la communauté ; la motorisation donne de nos jours la facilité de fréquenter plus loin les lieux où se retrouvent ceux dont on se sent solidaires. A plus grande distance, ce sont des activités qui demandent moins de continuité dans les relations qui trouvent place (Claval, 1981).
La vie sociale implique l’aménagement de voies de circulation et d’espaces publics pour permettre aux uns et aux autres de vaquer à leurs occupations et de rencontrer les partenaires de leur choix. Elle juxtapose ainsi des sphères plus ou moins complètement hiérarchisées : celles du privé, individu ou famille, celles des communautés de base, celles qui sont ouvertes à tous pour la circulation, les rencontres au hasard, le spectacle mutuel que les hommes se donnent entre eux, ou pour les meetings ou réunions de masse.
Les rythmes et les besoins de la vie sociale complètent ceux de la production pour donner aux espaces humanisés les traits essentiels de leur structure fonctionnelle : ils déterminent la disposition des maisons, la forme des villages et des villes et la localisation et l’agencement des espaces de loisir ou de vacances (Claval, 1981).
Vidéo : Les logiques à l’oeuvre dans la struturation de l’espace humanisé
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