La nature du fleuve : Spécificité des grands bassins fluviaux
Spécificité des grands bassins fluviaux
Les grands fleuves ne présentent pas en première analyse de spécificité évidente. Z : mme tous les cours d’eau, ils constituent un système tridimensionnel ordonné . •!! un continuum spatial dont tous les éléments sont solidaires. Comme tous les cours d’eau, ils relèvent de la même approche et sont définis par la même formule de bilan : Q=P-E±AR dans lequel Q représente le débit en mètres cubes par seconde, Pla hauteur des précipitations en millimètres par unité de surface (bassin ou sous-bassin versant), E l’évaporation (somme de l’évaporation directe et de l’évapo-transpiration) et AR la somme des variations du volume d’eau stocké par divers réservoirs allant du sol et de la biomasse aux structures hydrogéologiques profondes en passant par la neige et les glaciers.
Au-delà de ces caractéristiques fondamentales communes à tous les cours d’eau, la particularité la plus évidente des grands fleuves tient au fait qu’ils entrent difficilement dans les catégories définies par les traités d’hydrologie1, auxquels cet ouvrage n’entend pas se substituer. Ceux-ci accordent de façon logique une place essentielle aux facteurs de l’écoulement et définissent sur cette base des types « purs » correspondant à des régions climatiques ou morphologiques uniformes – glaciaire, océanique, méditerranéen de montagne ou autre – qui sont toujours représentés par des cours d’eau d’un rang modeste, Diège, Sa Piccocca ou Grande Goyave. Dès que l’aire du bassin versant excède ces normes ou qu’il intègre non seulement des «terroirs» (forêt, prairie, pentes diverses) mais des zones climatiquement et morphologiquement différentes, il est question de régime composite et, pour l’essentiel, les grands fleuves relèvent d’une catégorie vague dite des régimes complexes. En fait cette complexité est fonction de la taille de leurs bassins versants qui recoupent en règle quasi générale des domaines bioclimatiques divers, lesquels sont à l’origine de régimes hydrauliques combinant un grand nombre d’influences qui sont toutes subordonnées à l’ordonnancement spatial.
La taille du bassin versant et la zonation Iatitudinale
Précisons tout d’abord qu’un fleuve ne se limite ni à la section de forts débits sise en aval de plusieurs confluents ni à un axe suivi depuis la source du fleuve maître, généralement défini par le cours le plus long mesuré à partir de l’embouchure. Il faut entendre par fleuve, l’ensemble des cours d’eau affluents qui, grands ou petits, contribuent à la formation et à la fluctuation des débits et qui assument un écoulement pérenne ou intermittent à l’échelle du bassin fluvial, de sorte que le fleuve doit être défini par la taille et la nature de son bassin, le principe étant que l’intégration de ses moindres ramifications est indispensable à la compréhension de l’ensemble.
La confusion souvent observée entre fleuve et axe fluvial tient pour partie à la logique cartographique, pour partie au fait que l’axe fluvial a été longtemps exploité de façon prioritaire pour les besoins de la navigation et que c’est à partir des axes fluviaux que s’est faite en règle générale la pénétration des « terres inconnues » par les Européens. Dans le contexte tech¬nique et social actuel, la prise en compte de la totalité du bassin est devenue indispensable, soit que du point de vue technique les affluents offrent des ressources énergétiques ou autres, soit que du point de vue écologique, la prise en compte du continuum implique la solidarité de toutes les composantes de arbre fluvial.
Sur cette base, une carte de localisation des vingt plus grands bassins versants figure 3A et son tableau) met en évidence la relation existant entre la taille de ceux-ci et le caractère massif des continents dans lesquels ils s’insèrent. On ne compte aucun très grand bassin fluvial dans l’Europe occidentale et centrale, dans le pourtour méditerranéen exception faite du Nil, l’Amérique centrale, les péninsules indo-chinoises, le Dekkan et les cônes méridionaux de l’Amérique au Sud du Parana et de l’Afrique au Sud du Zambèze. Inversement, le bloc massif qui englobe la Russie, l’Asie orientale et la partie septentrionale du subcontinent indien n’en compte pas moins de huit, contre quatre à l’Amérique du Nord et trois à l’Amérique du Sud, la faiblesse de l’effectif étant ici compensée par la taille du bassin amazonien qui couvre une superficie équivalant à peu près à celles du Congo et du Mississippi réunies.
Cette massivité des bassins versants va généralement de pair avec la dimen¬sion considérable des unités morphologiques qui les composent : l’immense bassin de l’Amazone n’en compte que quatre, la cordillère des Andes, la cuvette Amazonienne et les boucliers anciens des Guyanes et du Mato Grosso ; le bassin du Congo se partage entre le rift africain, une cuvette et les voussures qui la frangent ; les bassins des fleuves sibériens sont également formatés par les voussures de la plate-forme eurasienne ; le Mississippi occupe une ample gouttière raccordée aux Appalaches et aux Rocheuses.
Dans la plupart des cas, on observe des contrastes de nature, de forme et de pentes entre les vastes cellules composant un bassin donne : les Andes et la cuvette amazonienne, l’Himalaya et la plaine indo-gangerique. Ce gigantisme, ces contrastes et l’opposition entre d’une part la tectonique des montagnes recentes, la puissance des rejets qui encadrent des blocs taillés ou l’activité volcanique passée ou actuelle, d’autre part, la faiblesse des pentes et l’usure íes formes du relief sur les socles longuement érodés, soulignent la concordance ; peu près générale entre les très grands bassins fluviaux et les plaques tectoniques.
Cette même carte des très grands bassins permet également d’évaluer l’importance des transferts en latitude qu’opèrent les fleuves d’orientation méridienne, soit que ceux-ci apportent l’eau des tropiques humides vers les zones Ñihéliennes et désertiques (Niger, Nil, Indus), soit qu’ils déversent les eaux de la zone tempérée dans les régions polaires (Ienisseï, Ob, Lena, Mackenzie, Nelson). Echappent à ces transferts latitudinaux, les fleuves centrés sur une latitude donnée, basse (Gange, Congo, Amazone), moyenne (Amour, Changjiang) elevée (Nelson). bilan hydrique Q établi entre les précipitations P et l’évaporation E, la fraction manquante représentant le déficit d’écoulement au terme de la pondération liée aux divers réservoirs. Si, dans la perspective proposée par cet ouvrage, l’intérêt se focalise sur l’écoulement, il importe toutefois d’en présenter les composantes1.
Les précipitations
A l’échelle du globe, ce sont les océans qui constituent l’essentiel d’une machine évaporatoire alimentant l’humidité atmosphérique. Celle-ci se résout en précipitations, pluies, neiges ou condensations occultes, formées pour l’essentiel sur les surfaces océaniques et précipitées au bénéfice des continents. On observe, pour l’ensemble des deux hémisphères, une décroissance des valeurs moyennes selon la latitude : 1 180 mm entre 0-30°, 908 mm entre 30-60°, 380 mm entre 60-90°. Les maxima zonaux, supérieurs à 2 000 mm, correspondent aux bassins de l’Amazone, du Gange-Brahmapoutre et des fleuves de la peninsule Indochinoise.
À une échelle zonale et non plus planétaire, on observe une dissymétrie entre les façades océaniques affectées par des courants chauds ou froids : aux latitudes tropicales, ce sont les façades orientales de l’Asie du Sud-Est (Changjiang), de l’Afrique australe ou de l’Australie qui reçoivent des masses d’air humide et chaud, alors que la remontée en surface de masses d’eaux océaniques froides et .’accumulation des fortes pressions atmosphériques, bloquent les précipitations sur les façades occidentales (Chili, Namib, Basse-Californie, Mauritanie). Aux latitudes moyennes, la dissymétrie est inverse, ce sont les façades occidentales qui sont largement arrosées (Chili méridional, régions du Cap et de Perth, Colombie britannique et Europe occidentale).
Tous ces transferts d’humidité peuvent être accentués ou freinés par le dispo-sitif orographique : la barrière des Rocheuses concentre les précipitations sur la façade pacifique (2 400 mm au-dessus de Seattle), alors qu’au-delà de cette barrière, les cours supérieurs de la Columbia et du Missouri ne reçoivent que des apports modestes (520 mm à Billings dans le Montana). Aux latitudes plus septentrionales, l’effet hyper-continental, c’est-à-dire l’éloignement de toute source d’humidité précipitable, accentue la sécheresse et, au-delà de 60° latitude nord, les toundras sibérienne (station de Verkhoïansk) et canadienne (Fort Reliance) ne reçoivent même pas 300 mm, valeur qui peut encore s’abaisser au- delà du 70° parallèle en milieu continental.
Altitude et latitude se combinent enfin pour modifier la nature des précipitations, sous forme de manteau nival. Celui-ci peut être capitalisé et déstocké selon un rythme annuel ou selon un rythme pluriannuel qui, dans le cas des inlandsis, peut être plurimillénaire.
La hauteur des précipitations ne constitue en tout état de cause que l’un des deux ensembles de paramètres commandant les modalités de l’écoulement, l’autre étant leur plus ou moins grande variabilité saisonnière ou interannuelle.
Les valeurs extrêmes, pour lesquelles les totaux pluviométriques annuels peuvent varier du simple au double ou au triple, se rencontrent dans les régions sèches aux limites des zones désertiques. Inversement, les variations internannuelles les plus faibles – souvent de l’ordre de 20 à 10 % – s’observent au niveau des cuvettes équatoriales et, dans une moindre mesure, dans l’Asie des moussons.
De l’évaporation au déficit d’écoulement
L’évaporation potentielle* déterminée par le bilan énergétique sans qu’il y ait limitation des échanges causée par le déficit hydrique reste une donnée théorique à laquelle correspond concrètement l’évaporation réelle*, modulée par la disponibilité en eau et l’évapotranspiration réalisée par la masse végétale.
A l’échelle des continents, les valeurs les plus fortes, allant jusqu’à 1 500 mm, se rencontrent aux latitudes basses (1-15°) et sur les façades orientales des continents baignées par des courants chauds, alors que sur les façades occidentales et aux latitudes un peu plus hautes (15-30°) les remontées d’eaux froides réduisent considérablement les transferts d’humidité et freinent l’évaporation (à latitude égale, E = 1 200 mm à Hong-kong contre 700 mm à San Diego). Aux latitudes moyennes, le phénomène s’inverse et à latitudes égales, E = 600 mm à Bordeaux contre 400 mm à Halifax. Ces données doivent être nuancées en fonction de la nébulosité qui peut ralentir l’évaporation de façon significative au niveau des cuvettes équatoriales.
La transcription de l’évaporation et de l’évapotranspiration dans le registre de l’hydrologie correspond à ce qu’on appelle le déficit d’écoulement, notion complexe mais donnée relativement stable par rapport aux autres facteurs contrôlant l’écoulement. C’est sur cette base qu’a pu être réalisé l’abaque dit de Wundt, Coutagne et Pardé, selon lequel le déficit d’écoulement croît avec l’augmentation des précipitations jusqu’à atteindre une valeur plafond déterminée par la saturation de l’air. Ce niveau de saturation varie lui-même en fonction de l’élévation de la température avant de se stabiliser aux environs de 25°. La combinaison de ce principe avec les données climatiques explique au sens large les variations de l’écoulement par grandes zones climatiques .
Vidéo : La nature du fleuve : Spécificité des grands bassins fluviaux
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