Choix des formes,connaissances technique et division du travail dans le monde traditionnel
Choix des formes, connaissances techniques et division du travail dans le monde traditionnel
Comment se choisissaient les types d’organisation de l’espace et les formes bâties dans les sociétés d’hier ? Prenons l’exemple de la maison. Celui qui décidait de s’en faire construire une avait une certaine idée de ce qu’il voulait : il avait regardé autour de lui, puisé dans ses souvenirs et fait parler les gens. Mais pour la réaliser, il fallait compter avec les hommes de l’art. En Quercy (fig. 34), (Cayla, A., 1972), l’agriculteur opte souvent, au XVIIIe et au xixe siècles, pour un séjour à l’étage, auquel un escalier ouvert et un balcon, lou bolet, donnent accès ; aux beaux jours, la vie et le travail de la ménagère s’y déroulent. L’habitude est de se tenir dans une grande cuisine qui sert de salle de séjour : c’est autour de la cheminée que la vie de la famille s’ordonne ; deux lucarnes l’éclairent et une autre donne du jour sur l’évier. Une pièce voisine, la souillarde, abrite le garde-manger, les provisions et sert à préparer en partie les aliments. La famille couche dans une ou deux grandes chambres, etc. Une fois les besoins précisés et la maison conçue en fonction des références locales, celui qui fait bâtir doit se mettre d’accord avec les artisans qui réalisent la construction. Dans les pays où le torchis ou les briques servent de remplissage, c’est le charpentier qui sert de maître d’œuvre. Il prépare durant l’hiver la structure porteuse, la monte et l’essaie. C’est de lui que dépend la définition de ce qui est possible : le client doit lui faire confiance. Dans les grandes fermes de l’Est de la France, le charpentier joue aussi un rôle dominant : il met en place les travées qui structurent le vaste espace intérieur du futur bâtiment ; leur disposition commande le travail des maçons et les possibilités offertes à l’utilisateur (de Planhol, 1969-b ; Trochet, 1993). Le charpentier et le couvreur ont l’idée de la pente qu’il convient de donner aux toits ; le client n’a pas voix au chapitre sur ce point. Les maçons connaissent les mensurations des portes et des fenêtres, et l’épaisseur des parois. Là où les murs sont porteurs, ceux qui les édifient tiennent le premier rôle sur le chantier . Des conflits peuvent naître entre les divers corps de métiers. Certaines des formes qui donnent aux maisons rurales leur charme sont destinées à prévenir ce genre de litige : en Périgord et en Quercy, on élargit l’aire couverte en adoucissant la pente du toit dans sa partie inférieure grâce à l’utilisation de coyaux : la couverture déborde ainsi suffisamment pour que les eaux de pluie ne ruissellent pas sur les murs. Dans le monde traditionnel, les rêves de celui qui veut construire sont donc limités par les savoir-faire des corps de métier et par les règles qui président à leurs rapports (Brunskill, 1970 ; Newton, Pulliam-Di Napoli, 1977). Les formes urbaines ont longtemps dépendu des mêmes modes de transmission et des mêmes contraintes sociales : le choix des matériaux, le volume des constructions, les types de charpente étaient imposés aux clients par les corps de métier ; les agents voyers chargés du dessin des rues et les autorités municipales avaient aussi et leurs traditions.
Répartition des compétences et élaboration des formes dans les sociétés modernes
Dans le monde d’hier, la diversité des paysages tenait à la multiplicité des traditions culturelles et au rôle des corporations qui détenaient les techniques indispensables à la réalisation des projets. Cela conduisait à des schèmes d’organisation ou de construction propres à chaque lieu. Aujourd’hui, la tendance est à l’homogénéisation. La presse et les médias contribuent à diffuser rapidement les modèles auxquels les constructeurs font référence (fig. 35). Les corps de métier perdent leurs privilèges : tout le monde peut s’improviser charpentier ou maçon, comme le montre l’exemple du balloon frame, de la charpente claire, en Amérique du Nord. Les magazines qui diffusent des plans de maison ou de bâtiments d’exploitation agricole ont une très large diffusion : les références locales disparaissent sous l’effet conjugué des premiers médias à large public et de la simplification technique. Le progrès technique va de pair avec une formalisation plus grande de l’art de l’aménageur. Celui-ci maîtrise des règles qui lui permettent de répondre de manière efficace aux problèmes fonctionnels les plus variés. Le processus de systématisation est en marche depuis la Renaissance (Choay, 1981). Alberti apprenait déjà aux architectes à prendre en compte les besoins de leurs clients à leur fournir un bâti de qualité (soliditas) et à garantir l’équilibre et la beauté du tout grâce aux règles de composition proposées (venustas). En architecture et en urbanisme, la recherche de solutions rationnelles aux problèmes des utilisateurs ou des habitants donne des indications sur les formes et les volumes les plus satisfaisants, mais ne permet généralement pas d’arrêter le dessin définitif : elle enferme les partis envisageables dans une enveloppe beau¬coup plus qu’elle ne leur impose une géométrie. Il reste donc place pour une inspiration qui prend appui sur des règles ou des doctrines esthétiques et sur les modèles qu’on en a déjà tirés. La dimension culturelle ne disparaît donc pas dans les aménagements d’aujourd’hui. Elle se glisse, comme par le passé, dans le dialogue qui s’instaure nécessairement entre le particulier ou l’autorité responsable des réalisations, cl les architectes, ingénieurs ou urbanistes chargés de les mener à bien. Les uns et les autres sont libérés des modèles hérités qu’on ne savait ni ne voulait bouleverser. Ils sont devenus sensibles aux expériences esthétiques nouvelles. Le donneur d’ordre prête une oreille attentive aux discours que l’on lient sur les nouveaux environnements. Le concepteur s’inspire de courants en constante évolution et entre lesquels il arbitre et choisit. La multiplicité des gram¬maires qu’il a à sa disposition et sait mobiliser assure la diffusion presque instantanée des formes. Les arpenteurs et géomètres chargés de délimiter les pièces de terre, les artisans, techniciens et architectes responsables de la construction des bâtiments et des monuments, les sculpteurs et les peintres qui les ornent, les jardiniers qui les entourent d’espaces verts, et les ingénieurs qui mettent en place les grands équipements, jouent donc un rôle essentiel dans le façonnement des espaces humanisés. C’est d’eux que viennent souvent les innovations qui les altèrent en profondeur.
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