Grands fleuves et grands travaux : Moines, ingénieurs et savants de l'Europe
Moines, ingénieurs et savants de l’Europe
En dehors de la péninsule Ibérique et de la Sicile, il ne semble pas que la majeure partie de l’Europe ait fortement bénéficié de l’héritage antique transmis par les Arabes, la référence restant les techniques romaines. A deux échelles différentes, le bief de moulin et le pont, ce sont les moines bâtisseurs et défricheurs qui ont maintenu la tradition des travaux hydrauliques, laissant en témoignage marquant de leurs savoir-faire, le pont d’Avignon et le pont Saint-Esprit.
Une autre tradition, essentiellement urbaine et diffuse a été mise en évidence par les travaux d’A. Guillerme , celle des canaux ceinturant et traversant les villes de la France septentrionale. Leurs eaux étaient utilisées à des fins multiples intégrant à ce qui tenait lieu d’assainissement, le ravitaillement urbain en produits irais (en témoigne encore ce qui reste des hortillonnages d’Amiens et des champs Doulchard à Bourges), les usages artisanaux et les moulins. Cette familiarité de l’eau n’allant pas sans de multiples inconvénients au plan de l’hygiène, elle se perdit progressivement dès la fin du xvmc siècle et il n’en reste aujourd’hui que de rares témoins.
Les travaux d’hydraulique fluviale proprement dite ne reprendront en fait qu’avec les travaux des ingénieurs vénitiens et hollandais. Les premiers réalisèrent de 1600 à 1604, le Taglio di Porto Viro, lit de dérivation qui porta les eaux du Po, non plus vers le Nord où Venise risquait de voir sa lagune comblée par l’apport des alluvions, mais vers le Sud et la Sacca di Goro ; ils entreprirent dans
la foulée, avec plus ou moins de bonheur, les premiers travaux de bonification permettant l’occupation agricole du delta padan. Les seconds mirent au point les techniques de poldérisation et entreprirent du XIIe au XXe siècle, la séparation de la terre et des eaux dans le complexe deltaïque du Rhin et de la Meuse . Surtout, ils diffusèrent leurs techniques dans toute l’Europe, du Niémen au Tibre, en passant par le Marais poitevin et la Camargue.
Avec deux objectifs difficilement compatibles, la protection ou la mise hors d’eau des vallées et l’amélioration des conditions de la navigation, d’autres ingénieurs ont mis au point des systèmes d’endiguement lentement améliorés au fil des siècles. Dans ce domaine, les travaux les plus anciens, les plus empiriques également intéressent le Po et la Loire. Sur ce dernier fleuve, l’intérêt est passé de la protection du Val d’Anjou endigué dès le Moyen Age, à la construction de digues destinées au maintien de la navigation puis, cette dernière ayant pratiquement été éliminée par le chemin de fer, l’intérêt s’est à nouveau porté sur la fonction protectrice. Entre temps, et quelles que soient leurs imperfections, les levées de la Loire ont servi de modèle aux levees du Mississsippi, cependant que le Corps des Ingénieurs du Roi donnait naissance à U.S. Corps of Civil Engineers. On retrouve sur les autres fleuves européens les mêmes alternances d’intérêts contradictoires : sur le Rhône, ce sont les digues basses destinées au maintien de la navigation (système Girardon mis au point à la fin du XIXe siècle), qui ont succédé aux digues hautes érigées au milieu du XIXe siècle, aux lins de protection des riverains. Des travaux analogues ont été entrepris sur d’autres fleuves par de grands ingénieurs : Vasarhelhyi sur le Danube, Tulla sur le Rhin.
L’incessant va-et-vient entre le registre des grands travaux et celui des sciences théoriques, sans cesse nourri et renouvelé par ces ingénieurs, constitue sans doute le trait le plus attachant de l’hydraulique européenne : c’est un ingénieur italien, Bernouilli, qui transposera sur le registre académique, les principes fondamentaux de l’hydrostatique. Inversement, c’est Galilée qui fera passer du registre théorique à celui de la pratique, la mécanique des vagues. Ce sont les ingénieurs Chezy et Darcy, en charge du canal de Bourgogne mais membres de l’Académie de Dijon, qui poseront les principes de la circulation de l’eau dans les canaux. Et comment ne pas faire référence aux carnets de Léonard de Vinci réunis dans le Codex Hammer et où sont exposées, fausses ou justes mais toujours fascinantes, les théories les plus diverses sur la circulation de l’eau et sur les machines hydrauliques, y compris les systèmes d’écluses ?
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