Le fleuve et lieu d'activités industrielles : Thèmes et problèmes
De l’hydroélectricité à l’inter modalité
D’une construction régionale à l’autre, les limites de l’énergie hydroélectrique apparaissent comme une constante même sur les très grands ouvrages. A preuve les difficultés qu’a rencontrées dans le domaine énergétique la Tennessee Valley Authority, dès que son potentiel a été sollicité par l’industrie nucléaire. Le? variations saisonnières de débit et le volume insuffisant des réservoirs ont contraint l’Autorité dès le début des années de guerre, à ouvrir sur place des mines de charbon et à construire des usines thermiques puis à construire des centrales nucléaires, de sorte que, le succès aidant, l’hydroélectricité qui constituait initialement le moteur du développement n’est plus maintenant qu’ur. élément d’appoint.
Des restrictions et correctifs analogues se sont imposés sur l’escalier des retenues de la Volga dont l’apport énergétique irrégulier a trouvé sur place un correctif thermique avec la construction de centrales thermiques (Zainsk. Togliatti, Kouibyshev, Volgograd) et nucléaires (Balakovo et Nijnelcamsk). Même constat en Sibérie où l’enchaînement d’étés secs et d’hivers rigoureux combine avec des méthodes de gestion centralisée a provoqué une pénurie d’électricité au centre de la plus grosse concentration mondiale d’énergie électrique.
Si, dans l’immédiat, le Brésil n’affronte pas le même type de problème, cela tient pour l’essentiel à la sous-exploitation de centrales qui ne fonctionnent que rarement à plein. Il est bien évident que dans le cas de ce pays comme dans tous les autres, l’inter modalité s’imposera à terme.
Il n’empêche que les centrales thermiques conventionnelles ou nucléaires demandent de fortes quantités d’eau de refroidissement. Or, le processus de refroidissement offre l’inconvénient de réchauffer l’eau passant sur les échangeurs et de rejeter cette eau dans le milieu fluvial, l’effet d’impact étant d’autant les important que les débits sont faibles. D’où l’intérêt d’un rapprochement spatial entre grands systèmes thermiques et grands fleuves, et d’une coordination entre hydraulique et thermique.
Des industries liées au fleuve
Il existe une adéquation évidente entre les potentialités énergétiques des grands fleuves et la présence tant en Amérique du Nord et en Sibérie que dans h région amazonienne, de grandes forêts. Cette adéquation, combinée avec la faible valeur des produits forestiers, débouche logiquement sur la présence d’industries minières, pâte à papier, scieries, carbochimie. Le faible coût de l’énergie explique également, lorsque les circonstances le permettent (transport fluvial ou présence sur place de la matière première), la création d’industries liées à l’eau et a. l’énergie, usines de premier traitement des métaux non ferreux au Canada, ¦-Lsines d’aluminium africaines, américaines ou sibériennes.
Sur un tout autre registre, l’hydroélectricité est à l’origine de plusieurs filières industrielles, certaines simples comme les cimenteries ou les tubes, d’autres un eu plus complexes comme le matériel de chantier, d’autres enfin exigeant à la fois fabrication lourde, investissement scientifique et services internationaux. S’ensuit ne certaine hiérarchie des rapports entre sites d’exploitation et sites de produc- don. Si les cimenteries et les entreprises de gros œuvre restent assez proches des grands gisements d’énergie, nombre de sociétés initialement localisées près des chantiers du premier âge de la houille blanche sont maintenant excentrées par rapport aux sites actuels. Certaines ont réussi à maintenir leurs ateliers sur place comme Neyrpic à Grenoble, Preussag à Wiirzburg, Sulzer à Zürich, Elin à Vienne ou Canadian Steel à Montréal. D’autres se sont transformées en bureau d’études et d’expertise comme la SOGREAH à Grenoble ou Gibb à Reading. Beaucoup enfin ont quitté leurs sites originels pour se rapprocher des centres de décision comme Woodward ou MCM qui ont été transférées sur Washington ou Alsthom dont le siège social est situé dans la région parisienne.
Le problème des rejets
Il est peu d’activités industrielles sans rejets polluants. Et, lorsqu’ils proviennent d’activités telles que la cellulose, l’électrométallurgie ou l’électrochimie, ces rejets peuvent être toxiques même à faible dose et affecter gravement la faune piscicole et par là même la totalité de l’écosystème fluvial. Face à cette situation, deux politiques opposées l’une canadienne, l’autre russe peuvent être mises en comparaison.
La confusion entre libéralisme et laxisme ajoutant à l’axiome selon lequel l’eau courante entraîne les déchets vers la mer qui purifie tout, le Saint-Laurent était devenu au fil des ans et en dépit de l’importance de son débit, un fleuve très pollué. Eaient en cause, non seulement les rejets industriels au niveau du fleuve mais aussi ceux des Grands Lacs. La montée de la sensibilité environnementale, motivée par la qualité du milieu, a suscité la création d’un plan d’action défini en 1988 au terme d’un constat inquiétant : à hauteur de Québec, le fleuve voyait passer chaque année 250 000 tonnes de déchets liquides sous forme de graisse, huile, boues industrielles, solvants, acides, métaux lourds, composés organochlorés, etc. Le plan de 1988, doté d’un budget de 110 millions de dollars par an, regroupe quatre volets sous les intitulés suivants :
- protection : réduction à hauteur de 90 % des rejets déversés directement dans le fleuve par les 50 usines les plus polluantes, puis par les 25 usines classées a la suite, par recours à des procédés moins polluants et construction de stations de traitement avant rejet des eaux dans le fleuve ;
- conservation : création d’un parc marin du Saguenay, identification et protection des espèces et des sites remarquables ;
- restauration : traitement des espaces contaminés notamment par les métaux lourds et amélioration des pratiques de dragage qui déstabilisent le lit fluvial.
- développement technologique : recherche et développement des techniques non polluantes, mise au point d’une ingénierie environnementale.
La grande originalité de ce plan d’action est sans doute la sectorisation ce l’espace fluvial en 22 unités et l’implication des riverains dans ce plan. L’action des collectivités locales relayant l’action provinciale, les résultats obtenus sont attestés de façon positive par la réapparition d’espèces qui avaient disparu de l’estuaire ou qui étaient interdites de pêche pour des motifs sanitaires, comme les crabes et les crevettes.
Dans le cadre de ses recherches sur la Volga, P. Marchand fait allusion. 2 plusieurs reprises, à la difficulté d’obtenir des informations fiables et à la confusion observable dans les publications officielles, entre le Plan et la réalité. Le recoupement de multiples données partielles, émanant le plus souvent de milieux scientifiques permet toutefois d’avancer quelques éléments crédibles. Il est certain que les autorités soviétiques ont eu assez tôt conscience des impacts désastreux des aménagements vosgiens et qu’elles ont tenté d’agir sur plusieurs plans, notamment celui des rejets industriels. Sur cette base, le Comité central du PC a lancé en 1972 une vaste enquête « sur la prévention de la pollution sur les bassins de la Volga et de l’Oural ».
La Commission chargée de l’enquête fait état de données contradictoires D’une part, elle recense de nombreuses stations d’épuration et même des installations en circuit fermé comme à l’usine automobile Togliatti, d’autre part et constate la présence de pollutions « inexplicables ». Enfin, dans son rapport final, elle estime que seuls 25 % des rejets le sont après épuration effective. Sans doute faudrait-il faire la distinction entre les stations d’épuration fonctionnelle e: celles qui ne le sont pas ou qui sont desservies par un personnel incompétent. Le résultat final n’est observable qu’à travers l’état de la faune et de la flore, état qu’est loin d’être satisfaisant. Peu importe, puisque l’imprécision des termes peu: laisser croire à qui le veut bien, que ce ne sont pas 25 % mais 75 % des rejets qui sont épurés. P. Marchand observe par ailleurs que l’enquête menée par la
Commission n’intéresse qu’une partie de l’axe fluvial et qu’elle ne prend en compte ni la Kama ni le cours amont du fleuve où sévissent des sources de pollution graves comme cette unité de production qui traite la tourbe par l’ammoniaque et rejette directement au fleuve les produits de rinçage.
Le constat fait par L. Touchart sur le lac Baïkal est assez différent. On ne recense sur le pourtour du lac que trois sources de pollution : les effluents déversés par la Selenga après sa traversée d’Oulane-Oudé ; les installations du BAM tout au Nord ; le combinat de la cellulose de Baïkalsk. À cela s’ajoute une pollution diffuse due à l’importance des pluies acides en provenance d’Irkoutsk et d’Angarsk. Des sources de pollutions rares donc, et très localisées, sans rapport avec la masse du lac qui garde une forte capacité d’auto-épuration. Il faut également tenir compte du lien affectif qui unit les Russes à cette mer intérieure dont les eaux et la faune sont symboles de pureté. Un grand effort de dépollution a donc été entrepris, avec certes des aléas et des chocs en retour consécutifs aux intermittences de la vie politique en Russie. Mais, selon L. Touchart, la politique d’assainissement se poursuit actuellement, en partie grâce à la coopération internationale. Il constate que les prélèvements et les rejets de l’usine de Baïkalsk, responsable de la pollution la plus grave, vont diminuant et que le traitement des rejets s’améliore. Il ne faut donc pas désespérer d’une situation qui semble avoir été évaluée de façon très négative mais par forcément objective par les médias occidentaux.