L'emprise deshommessur l'environnement et la connaissance des milieux et du vivant
L’emprise des hommes sur l’environnement et la connaissances des milieux et du vivant
Les savoirs traditionnels sur les milieux ont une finalité pratique : leur utilité est il autant plus grande qu’ils aident à comprendre la dynamique de l’environnement et des associations qui le composent. Étudiés par les ethnosciences, ils sont de mieux en mieux connus (Claval et Singaravélou, 1995).
La connaissance des milieux et de leur dynamique : les ethnoclimatologies
Les activités humaines sont d’autant plus dépendantes du temps qu’elles se déroulent en plein air et concernent plus directement les milieux naturels. Il est pénible de travailler par grande chaleur. Il faut se protéger du froid, du vent, de la pluie et du soleil lorsque celui-ci est trop chaud ou trop éblouissant : les chasseurs, les éleveurs ou les paysans savent scruter le ciel et prévoir l’averse ou l’orage quelques heures ou un jour à l’avance. À cette météorologie fruste — et souvent « H défaut, vu l’extrême complexité des facteurs dont dépendent les éléments atmosphériques — s’ajoute une connaissance plus solide de la succession des saisons, des fluctuations des températures et de la distribution ordinaire des précipitations au cours de l’année.
La croissance des plantes demande de la chaleur et des apports d’eau. La chaleur ne sert à rien lorsque l’eau manque. Dans les pays tropicaux, dans ceux de mousson et sur les côtes orientales des continents aux latitudes tempérées, les précipitations tombent au moment où les températures sont les plus élevées,ce qui favorise l’exubérance de la végétation et la rapidité de la pousse.
Dans les zones méditerranéennes, les pluies se font rares à la fin du printemps cl manquent souvent totalement l’été : la végétation ne rencontre de conditions favorables qu’à l’automne ou au printemps. Les céréales doivent être précoces ou irriguées. Arbres et arbustes sont capables de puiser en profondeur l’eau dont ils nul besoin, d’où la place faite à la vigne, à l’olivier et aux fruitiers.
À la limite nord de l’œkoumène, la durée de la saison végétative devient l’élément déterminant: la croissance est rapide l’été grâce à la durée de l’ensoleillement ; encore faut-il, pour obtenir des récoltes, que les derniers gels n’ interviennent pas trop tard et les premiers trop tôt.
On mesure l’importance des savoirs ainsi accumulés par les sociétés paysannes aux erreurs que commettent les colons confrontés à des milieux dont ils ne connaissent pas les rythmes climatiques et les risques. Aux États-Unis et en Australie, les céréaliculteurs ont emblavé des régions où les récoltes étaient intéressantes en bonne année, mais où l’insuffisance des précipitations les compromettaient une fois sur deux ou sur trois.
La connaissance des milieux et de leur dynamique : les ethnoécologies
Les chasseurs et les pêcheurs ont besoin de connaître les déplacements des espèces dont ils dépendent. Il en va de même chez les éleveurs : dans les milieux méditerranéens, les troupeaux des transhumants gagnent les hautes terres plus humides à la saison chaude et stationnent dans les basses plaines l’hiver, les pasteurs nomades oscillent de même entre le Sahara et ses marges selon les probabilités de pluie.
Les problèmes essentiels auxquels se heurtent les agriculteurs sont faciles il formuler : comment protéger les champs du retour des espèces naturelles?Comment éviter que les parasites ne détruisent les plantes ou que les animaux ne consomment les récoltes ? Comment faire pour que les terres retrouvent leur fertilité lorsqu’elles ont été cultivées plusieurs années ? Il n’est pas possible de répondre à ces questions sans une certaine idée de la dynamique des formations végétales : elle fait comprendre la nécessité des périodes de repos et des restitutions.
L’intelligence des processus en œuvre est généralement étayée par des taxonomies souvent impressionnantes, et dont l’étendue varie avec le type d’activité pratiqué.
Ethnobotanique et ethnozoologie
La richesse des connaissances que développent ceux qui sont au contact de lu nature et doivent la comprendre pour vivre est surprenante.
Dans les milieux tropicaux dont la complexité est extrême, les groupes savent déterminer un nombre considérable d’espèces végétales et animales : 1 625 types végétaux, dont 5 à 600 seulement comestibles et 406 d’usage purement médicinal chez les Hanunoo des Philippines étudiés par Conklin (Conklin, 1954, 116, 184 et 249, repris par Lévi-Strauss, 1962,182).
Un tel inventaire est indispensable si le groupe dépend de la cueillette : il lui faut connaître le plus possible d’espèces comestibles. Les sociétés agricoles pratiquent généralement la cueillette à titre complémentaire. Une partie des herbes qui servent de condiments vient souvent des zones non cultivées. Ce qui motive cette curiosité pour les plantes sauvages, c’est également le souci de disposer de simples pour soigner les affections, de poisons pour la chasse ou la pêche, et de substances excitantes ou psychotropes.
Les efforts pour asseoir la pratique agricole dans des milieux plus difficiles imposent parfois l’exploration fine de certains types de plantes, comme le souligne Lévi- Strauss (1962, 60) : « Les Indiens Amayra qui vivent sur l’altiplano bolivien trop haut pour que le maïs vienne distinguent et nomment 250 variétés de solanées ».
Les chasseurs connaissent toutes les espèces dont la chair, la peau, la toison ou les cornes sont utiles, les grands carnassiers qu’ils ont à redouter et ceux qu’il importe d’abattre pour éviter qu’ils ne fassent des prélèvements trop importants sur les espèces intéressantes. Ils connaissent les habitudes alimentaires du gibier, les lieux où les animaux se reposent, ceux où ils pâturent et les ruisseaux et nappes d’eau où ils vont boire. Ils sont également attentifs aux cycles de reproduction.
Les éleveurs possèdent une familiarité remarquable avec les bêtes domestiquées qui les font vivre ; ils savent les nourrir ou contrôler leur alimentation, veiller aux jeunes, diagnostiquer un certain nombre de maladies et les soigner. Ils disposent d’un vocabulaire extraordinairement riche pour parler de leurs bêtes — plus de cent termes rien que pour décrire les couleurs de leur robe, chez les Nuer décrits par E. Evans-Pritchard (1968).
Dans les sociétés urbanisées, les connaissances ethnobotaniques ou ethnozoologique ne sont plus partagées par tous. La majorité des citadins ne connaît qu’assez mal la campagne ou les bois alentour, mais des spécialistes apparaissent.Le besoin de disposer d’une pharmacopée diversifiée conduit à dispenser aux apothicaires aires et aux herboristes un enseignement souvent très savant.
Des ethnoécologies au savoir scientifique
I es connaissances ethnoécologiques s’expriment dans des classifications qui favorisent leur mémorisation et leur transmission. Les savoirs traditionnels dressent ni souvent des inventaires étonnants de la diversité du réel. Les catégories qu’ils n tiennent « témoignent en faveur d’une pensée rompue à tous les exercices de la spéculation » (Lévi-Strauss, 1962, 57). Les classements ne reposent cependant pas sur la compréhension des processus à l’œuvre dans la nature. Ces connaissances permettent une description satisfaisante, mais ne disent que peu de choses ni les enchaînements causaux réels. Au moment de l’action, on est donc conduit H supposer des relations que ne garantit aucune observation : la magie naît d’un réflexe rationnel face à des situations insuffisamment analysées pour que les forces qui les modèlent soient appréhendées (Malinowski, 1963 ; 1974).
La science explore en revanche les déterminations causales et les régulations à l’œuvre dans le monde. Les taxonomies qu’elle propose ne résultent pas de I imposition de catégories plus ou moins arbitraires, mais sur la mise en évidence îles propriétés morphologiques qui conditionnent la vie des êtres ou le fonctionnement des systèmes. Les enchaînements qu’elle met en évidence indiquent où Intervenir pour maîtriser les environnements, et quelles matières choisir ou synthétiser pour fabriquer les instruments dont on a besoin.
Dans l’univers traditionnel, la connaissance abstraite du milieu n’aide guère à .if n sur lui. La pensée scientifique permet en revanche de guider l’action. Les ethnotechnologies reflétaient la diversité de savoirs imparfaitement rationalisés. 1 a science moderne conduit à l’unification des méthodes d’action sur le réel et de l’univers instrumental qu’elles impliquent.
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