Les codes, les règles et la plasticité de la culture
La culture comme ensemble de codes et de règles
Les progrès enregistrés dans les domaines de l’information et de la communication font comprendre l’inégale difficulté de la transmission des savoir-faire et des connaissances selon leur contenu et les supports qui les reçoivent. Ils éclairent également la nature profonde de la culture (Leach, 1976).
Tous les éléments transmis ne se situent pas sur le même plan. Ce que les hommes apprennent d’abord, ce sont des codes. Ces systèmes permettent de noter les informations d’un certain type et, en appliquant des règles de composition qui leur sont propres, de générer des messages. La linguistique peut servir de modèle : la langue est faite de sons individualisés et contrastés (les phonèmes). Ceux-ci s’articulent en mots (les morphèmes). À partir des mots, les règles de grammaire conduisent à des phrases (sèmes) dont les contenus et les sens varient à l’infini. La structure des phonèmes, morphèmes et sèmes permet de formuler des messages dont le sens est clair pour tous ceux qui possèdent les mêmes clefs. La culture nous est transmise, mais elle ne nous condamne pas à la reproduction indéfinie il d’énoncés déjà établis, d’attitudes reçues.
Les codes rendent transmissibles les informations et les structurent d’une telle manière qu’elles peuvent non seulement décrire ce qui existe, mais s’appliquer à îles situations neuves ou imaginaires. Le fait que les hommes s’inscrivent dans uni- continuité et soient toujours des héritiers ne les prive pas de créativité. Les i odes qu’ils maîtrisent leur permettent de classer et de nommer les êtres et les plantes, les artefacts ou les hommes, et de saisir la manière dont ils se combinent i m se trouvent liés pour des raisons physionomiques ou généalogiques. Ils apprennent ainsi à organiser l’expérience, à saisir des régularités ou des rapports de suc cession ou de causalité, à façonner des outillages et à structurer les relations mire les hommes.
La langue est un code qui permet d’exprimer un nombre illimité d’autres codes, i odes techniques en particulier : la transmission et le maniement de ceux-ci sont donc liés aux moyens verbaux d’expression. La résistance des patois à l’unification linguistique dure tant qu’ils sont indispensables à l’utilisation des techniques traditionnelles. Ils disparaissent avec la diffusion des outillages industriels modernes (Trochet, 1993).
Lorsque des populations ont recours à deux langues, elles ne les utilisent pas dans les mêmes circonstances, parce qu’elles ne sont pas également propres, étant donné leur degré d’évolution et les niveaux sociaux de ceux qui les pratiquent majoritairement, à exprimer certains registres. Dans le Québec du début du xx siècle, le français servait en famille, pour la cuisine et la vie religieuse : c’est m anglais que l’on parlait des problèmes techniques et que se déroulait l’essentiel de la vie publique. On parle de diglossie pour désigner ces situations (Breton,74 ; Laponce, 1984).
Création et changement
La nature des cultures fait que les sociétés ne sont jamais immobiles : l’essentiel de ce que les hommes ont reçu en héritage a comme justification première de leur permettre de subsister dans un environnement changeant. Les codes qu’ils maîtrisent et les règles qu’ils appliquent leur donnent dans la plupart des cas les moyens de faire face à l’imprévu. À partir des mêmes éléments de base, le nombre des combinaisons est quasiment infini et les stratégies possibles considérables.
Le processus de création est ainsi inhérent à toute culture. Mais tant que les problèmes restent familiers, les transformations s’effectuent sans que les gens nient l’impression de vivre dans un monde changeant — ils maîtrisent toujours les mêmes codes et appliquent les mêmes règles. Le fait de s’y conformer en tout point n’empêche pas d’être innovatif : c’est celui qui connaît le mieux l’ensemble des grammaires et des combinatoires en circulation dans un milieu qui a les meilleures chances d’en tirer un parti original.
Les cultures font souvent montre d’un niveau élevé de plasticité : rien ne vient freiner l’incorporation d’éléments nouveaux tant que ceux-ci se présentent comme des substituts ou des compléments de ceux qui existaient déjà. Le vocabulaire s’enrichit et évolue. Les grilles de classification appliquées au monde se transforment. De nouvelles séquences de causalité sont mises en évidence et permettent de mieux tirer parti de l’environnement.
Mais les codes et les règles en vigueur ne permettent pas de faire face à tout. Il arrive un moment où les pratiques se trouvent en défaut, ce qui implique un réexamen des conditions dans lesquelles elles ont été élaborées et s’appliquent. Un bouleversement du jeu intellectuel, des valeurs et de systèmes de croyance peut s’imposer pour faire face à des difficultés que les codes et règles en vigueur ne permettent pas de surmonter (pour un exemple dans le domaine scientifique, Kuhn, 1962). La remise en cause peut aussi résulter de ceux dont le métier est de réfléchir sur les prescriptions de la morale et sur ce qui les fonde (prêtres, philo¬sophes, juristes). Les cultures se transforment ainsi selon les deux modes de l’évolution et du changement brusque — mutation ou révolution.
Vidéo : Les codes, les règles et la plasticité de la culture
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