Pouvez-vous citer une phase pluriannuelle, parmi d'autres, spécialement fraîche, froide, nivale, au cours des 500 dernières années ?
L’hyper-PAG
L’hyper-PAG de la fin du xvie siècle est de très loin le mieux connu1, même si une première période fraîche a eu lieu entre 1300 et 1380, avec un effet plus marqué entre 1340 (vague d’étés frais) et la fin des années 1370 (gros surdimensionnement des glaciers). Le second hyper-PAG (alias premier hyper-PAG de l’âge moderne) ou « PAG à forte intensité » se situe entre 1570 et 1630 ; il se signale, dès son Préalable, par des étés souvent frais de 1560 à 1601, mais la décennie 1620, très fraîche également, lui fournit une rallonge significative ; les étés frais de cette décennie ayant nourri par avance les glaciers d’Aletsch notamment, ainsi que de Gorner et de Chamonix jusqu’à leur forte poussée des années 1640 ou 1650 selon le cas.
Les effets agricoles (souvent négatifs) de cette phase fraîche (hivers froids et étés très brumeux) sont surtout sensibles sur les grains, accessoirement sur la vigne, et sur l’élevage pour la laiterie ; « souffrances » des uns et des autres à cause de printemps froids (mars-avril), puis d’étés pourris qui nuisent aux moissons et qui abaissent, dans la période centrale de la saison, le contenu en sucre du vin, voire du sol en azote. Les dangereuses successions de printemps froids et d’étés pluvieux exercent des effets cumulatifs à l’encontre de la production agricole », selon G. Pfister : il insiste sur la forte hausse des prix des céréales (seigle), notamment entre 1570 et 1630, provoquée aussi par l’afflux d’argent du Potosi. Trop de précipitations en particulier pendant l’hiver réduit la présence du calcium, des phosphates et des éléments azotés dans le sol : cette conséquence cumulative est particulièrement traumatisante en Angleterre, plus fraîche encore que l’Hexagone. Naturellement, la chronologie des désastres météo (s) n’est pas la même partout : la Suisse est touchée en 1570-1571, la France connaît une mauvaise récolte céréalière en 1573, consécutive au froid et à l’humidité de la fin du millésime 1572. Les chercheurs helvétiques et allemands insisteront avec force sur la baisse de production du vin, spécialement entre 1585 et 1600, due aux fâcheux aléas climatiques ci-dessus décrits et entraînant le passage préférentiel aux consommations de bière, devenue plus abordable que le « jus de la treille ». Une combinaison « gelées de printemps/étés pourris » apparaît, ultra-nuisible surtout pour la vigne qui, à sa manière, est une plante des pays chauds, en tout cas méditerranéens.
Voyez en effet la production du vin ; elle confirme, lors de sa crise (quantitativement déficitaire) fin xvie siècle, la chronologie de l’hyper-PAG ; les périodes 1530-1584 et 1630-1670 connaissent, en Suisse, un plus haut niveau des productions de ce breuvage ; en revanche leur niveau est bas entre 1584 et 1630, en particulier dans le Würtemberg, la Basse-Autriche, la Hongrie de l’Ouest, mais aussi le nord de la France. Dans ce cadre chronologique (fin xvie siècle), la Suisse subit une année très froide en 1587, due à une incursion d’air arctique : année caractérisée par la présence de neige en basse altitude jusqu’en juin-juillet. Il en va de même pour 1588 : en l’occurrence, les 77 jours de pluie à Lucerne en juin, juillet et août seraient liés à une éruption volcanique aux antipodes en 1586 (?). L’année critique en France, en tout cas, c’est 1586-1587 : un automne 1586 humide, puis un hiver très froid et humide, un printemps froid (jusqu’au 11 mai 1587),
accompagné puis suivi d’inondations en mars, mai et juin ont pour conséquences une mauvaise récolte 1587 ; puis la famine, à Paris notamment (cette « chrono-météo » correspondant ainsi à la seconde moitié 1586/première moitié 1587).
Au cours des grands hivers de 1599-1600 et de 1600-1601, la République de Berne doit interdire la chasse des lièvres de neige et des oiseaux. Christian Pfister a par ailleurs diagnostiqué un régime de basses pressions sea level pressure pendant les étés de 1585 à 1597, inférieures à celles de la période de référence (1901-1998), elle-même incidemment plus tiède. Malgré l’été chaud de 1590, les étés de 1585 à 1597 sont plus frais de 0,6 °C, et marqués par davantage d’inondations que ceux du XXe siècle. Plus généralement, les températures moyennes de la période 1560-1600, calculées par Pfister, Luterba- cher et Brâzdil, seraient inférieures de 0,5 °C aux moyennes annuelles de la période de référence 1901-1960 : l’hiver connaîtrait une température inférieure de 0,5 °C et le printemps de 0,3 °C à 0,8 °C par rapport à ces moyennes. Le dernier quart estival du siècle (1577-1597) se situerait à 0,4 °C en dessous de la période de référence. Ce n’est pas tant la fraîcheur grosso modo de ces étés qui importe que les « chocs », c’est-à-dire les années spécialement froides, et l’excès spasmodique des précipitations.
Il est intéressant de noter que la chasse aux sorcières subit le contrecoup de l’hyper-PAG des années 1570-1630 : la gelée de printemps du 24 mai 1626 en Allemagne du Sud, avec (à Stuttgart) des grêlons de la taille d’une noix, et un vent glacial, a presque annihilé la récolte 1626 des futurs raisins et provoqué la chasse aux sorcières la plus odieuse et considérable qu’ait connue la région. Mais abstenons-nous de causalités simplistes !
La fin du xvie siècle s’est caractérisée de la sorte par une nouvelle poussée glaciaire, très sensible à partir de 1570 pour les glaciers de Chamonix et d’Aletsch. Le glacier d’Aletsch avance de 28 mètres par an entre 1581 et 1600 ; il gagnera donc 560 mètres, et puis encore 13 mètres par an entre 1600 et 1678. Les années froides et pluvieuses 1627-1628 fournissent également une contribution importante aux offensives de ces glaciers pour les trois décennies suivantes, par réduction de l’ablation glaciaire.
Parmi les causes de cet hyper-PAG, faut-il maintenir les activités volcaniques, avec leurs expectorations d’aérosols, y compris à lointaine distance (extra-continentale) de nos Alpes ? La décennie 1590 serait, à ce point de vue, significative, et plus excitée volcaniquement qu’en d’autres « décades ».