Quel lien les disettes et les famines ont-elles avec les conditions météorologiques ?
Il peut paraître absurde de parler de disettes pour les XVIIIe-XIXe siècles, alors qu’elles semblent s’être « évanouies » depuis longtemps. En fait, les disettes n’ont pas disparu entièrement, tant s’en faut. On doit, pour être juste, distinguer trois types d’événements de ce genre :
la famine
Sous l’ancien Régime, les famines étaient éventuellement liées aux difficultés nées des grandes guerres. Mais la plupart du temps, elles étaient engendrées, aussi, par des conditions météorologiques défavorables aux récoltes du grain et au développement antérieur de celles-ci depuis les semailles jusqu’à la moisson : « conditions d’adversité » telles que pluies excessives, grands hivers ; et, vice versa, échaudage et sécheresses liées aux canicules. Les années 1314-1315 ont connu ainsi de grandes famines en Europe occidentale et centrale. D’éminents historiens médiévistes y ont vu, à tort ou à raison, la fin du « beau Moyen Âge » gothique. Années pourries, pluies incessantes, mauvaises moissons, grosses mortalités. Viendront ensuite les grandes famines françaises de 1481 (sous Louis XI) ; millésime marqué par un hiver froid suivi d’un printemps/été pourri ; famine anglaise aussi en 1622 ; mais il s’agit, en l’occurrence, de l’avant-demière famine en date pour la Grande- Bretagne, dont le système agricole et maritime va ensuite se révéler plus efficient que dans la France toute proche, même si le grand hiver 1648-1649 introduit effectivement une quasi-famine en Angleterre lors de ce millésime 49, le plus rude de la Révolution britannique. En France, la famine de 1693-1694 est une extraordinaire catastrophe nationale : 1 300 000 morts. L’Angleterre souffre peu de cette disette, grâce à une agriculture plus efficace et à son commerce sur mer ; il n’en va pas de même de l’Écosse, de la Scandinavie, de la Finlande, qui connaissent une « grande faim » en 1696-1697.
L’an 1709 est encore de famine en France, au cours et à la suite du grand hiver, de quoi provoquer 600 000 morts. Il ne s’agit pas uniquement, tant s’en faut, de morts de faim (1693-1694) ni de froid (1709) : le grand hiver 1709 a déclenché une famine par destruction des blés en herbe à cause du gel ; la mortalité est surtout due, dans ce cas, aux épidémies qui fleurissent sur la sous-alimentation : typhus, fièvres, dysenterie. Quant à la famine de 1693-1694, elle reste, s’agissant de ses conséquences sur la population française (augmentation de 6,1 % des décès en 1693-1694), bien plus limitée, inférieure à celle que connaîtra l’Islande après l’explosion du volcan Laki en 1783 (mortalité de 20 %), ainsi que la Finlande en 1697 et l’Irlande en 1846-47.
la disette :
on peut la définir comme manque des blés accompagné ou suivi de morts assez nombreuses, mais sans le côté apocalyptique de la famine, tel qu’en 1315, 1693 ou 1709. L’an 1740 est ainsi marqué par une grosse disette : elle provoque le décès de 80 000 à 100 000 « Français ». C’est tout de même « moins pire » et comment ! qu’en 1693.
1794 : autre année de disette, en France ; elle y fera des dizaines de milliers de victimes. Le complexus est le même qu’en 1788-1789 (échaudage, puis intempéries), mais il n’y eut pas de mortalité particulière en 1788-89 ; en revanche l’année post-récolte 1794-1795 «voit» une mortalité assez forte, supplémentaire, imputable à la désorganisation des circuits « blatiers », née de la Révolution : le tout accompagnant la crise de subsistance du printemps 1795 qu’illustrent les émeutes sans- culottes de Germinal et Prairial. On peut encore citer, parmi les années de disette en France, le millésime 1811, année d’échaudage et d’intempéries ; et surtout 1846, alors que les famines ont prétendûment disparu. Mais 1846 combine la maladie des pommes de terre et un déficit du blé, engendrant la misère, le chômage, et, par épidémies également, 180 000 morts supplémentaires dans l’Hexagone en deux ans (1846-47). On observe alors l’effet habituel de la disette : baisse du nombre des mariages, des naissances, tant en raison d’aménorrhées de famine que de la contraception coïtus interruptus, assez répandue en France depuis la fin du xvine siècle.
la disette larvée :
elle naît d’une mauvaise récolte ; c’est le cas de 1788-1789, année postrécolte très déficitaire, mais au cours de laquelle on n’enregistre pratiquement pas de décès additionnels ! Belle performance… Pas de catastrophe mortalitaire dans ce cas de 88-89, mais d’énormes conséquences contestataires. Dérapage, diraient Richet et Furet. Enfin, on peut évoquer 1815, l’an de l’éruption du volcan indonésien de Tambora et donc 1816, l’année sans été, enténébrée par les poussières circumplanétaires. Il n’y a pas alors de mortalité supplémentaire (1816-17) en France ni en Angleterre, nations qui disposent d’une économie vigoureuse, mais il n’en va pas de même dans d’autres pays d’Europe, notamment centrale, très atteints par « Davantage de Trépas » en 1816-1817.