Fleuves nourriciers et foules paysannes
Des charges humaines considérables
Les grandes vallées chinoises, celles de PIndus, du Gange et du Brahmapoutre, la vallée du Nil et, dans une moindre mesure, la Mésopotamie offrent une double spécificité : elles abritent les foules paysannes les plus importantes de la planète ; la mise en place de ces foules est très ancienne et correspond pour tout dire à Péclosion des premières civilisations fondées sur des sociétés hiérarchisées. Le poids de l’histoire et la durée de ces sociétés comptent sans doute plus ici qu’une supposée bienveillance du milieu.
Il est classique d’opposer aux solitudes amazoniennes ou congolaises, les foules asiatiques et d’établir le lien entre ces fortes densités et la riziculture. Sans être totalement fausse, cette image demande à être nuancée. La carte des densités indochinoise et chinoise montre que la partie amont des grands bassins fluviaux relève de la catégorie des espaces faiblement peuplés auxquels s’opposent non seulement les segments aval des grandes vallées, Changjiang, Xijiang et Huang-He, mais aussi toutes les cuvettes intérieures notamment le Sichuan et surtout les régions littorales, deltas compris. Dans toutes ces séquences paysagères, caractérisées par la faiblesse de leurs pentes, les densités purement rurales dépassent toujours la centaine d’habitants au kilomètre carré et peuvent même dépasser le seuil du millier d’habitants. Les plaines fluviales ne sont en définitive que la plus importante des composantes d’un vaste ensemble de terres planes également chargées d’hommes.
La relation entre surfaces planes et fortes densités n’a cependant rien d’absolu et, aux limites de la sphère culturelle chinoise, une différence très sensible dans les paysages, oppose deltas surpeuplés et deltas autrefois déserts mais en cours de densification plus ou moins rapide. La comparaison entre le delta du fleuve Rouge (plus de 1 000 h/km2) et les deltas birmans presque déserts au milieu du XIXe siècle et dont les densités actuelles, calculées à l’échelle des districts, dépassent rarement la centaine d’habitants au kilomètre carré, est particulièrement éloquente.
Les fortes densités tant urbaines que rurales caractérisent également les grandes vallées de la péninsule Indienne, Gange, Indus (avec pour celui-ci des densités plus faibles dans le cours inférieur du fleuve, alors que le complexe Gange-Brahmapoutre-Meghna croule sous la charge humaine) mais aussi Damodar, Godavary, Narmada avec, dans tous les cas, un accroissement des densités au niveau des plaines côtières.
Dans un contexte culturel et cultural différent, les nuances ne sont pas moins sensibles dans le cadre des grands bassins fluviaux de la Méditerranée et du Moyen-Orient qui retiennent d’autant plus l’attention qu’ils sont eux aussi le berceau de très anciennes civilisations. Là encore, l’uniformité n’est pas de règle et aux foules de la basse vallée et du delta du Nil, s’opposent les densités relati¬vement modestes du Soudan nilotique et la rareté des hommes dans les régions de marais comme le Bahr el-Ghazal et le Sudd. Au-delà de ces contrastes, la vallée du Nil en aval d’Assouan constitue un cas limite de concentration dans une vallée qui rassemble la quasi-totalité d’une population nationale.
La maîtrise de l’eau, tradition et sclérose
De la Chine à l’Egypte et d’un bout à l’autre de la chaîne du temps, la maîtrise de l’eau sous diverses formes et son association avec des plantes de civilisation et avec des systèmes sociaux caractérisés par leur organisation rigoureuse apparaissent comme une constante . Toutefois, et en limitant dans un premier temps l’analyse à la période actuelle, des modalités diverses dans les techniques de l’eau amènent à faire la distinction entre plusieurs systèmes dont le plus élaboré est le système chinois, plus ou moins étendu aux fleuves indochinois mais excluant dans sa forme traditionnelle le bassin du Huang-He.
Le modèle chinois
Dans sa configuration actuelle, ce système est caractérisé au plan agronomique par la prédominance des productions végétales sur les productions animales qui ne représentent que 20 % du Produit Agricole Brut. Le riz, après avoir été longtemps une culture quasi exclusive, reste la culture dominante jusqu’a niveau de la vallée du Changjiang avec, le plus souvent, deux récoltes rar an, ce qui ne laisse que peu de place au soja et aux légumes qui restent des cultures intercalaires dans le calendrier ou interstitielles dans l’espace.
Au plan technique, la caractéristique principale est la maîtrise des eaux, essendellement par des méthodes gravitaires et de submersion. Cette maîtrise inclut l’usage de vannes en contrebas des digues, des systèmes de canaux hiérarchisés depuis le canal maître jusqu’à la filiole desservant non pas un mais plusieurs casiers inondés, des canaux drainant les eaux de colature et des espaces de rejets dans des bas-fonds, auxquels se substitue maintenant l’exhaure par pompage, le rlus souvent motorisé. Il va de soi que ce type de système, surtout lorsqu’il exploite les plaines alluviales des grands fleuves et leurs deltas, implique une discipline collective d’autant plus forte que les terres cultivées sont de façon très générale situées en contrebas des digues fluviales dont l’entretien conditionne le maintien d’un système toujours menacé par les inondations.
Au plan humain , la période de la Révolution agraire et des communes populaires, caractérisée par la suppression de la propriété individuelle et de la rente foncière, est pratiquement révolue depuis 1978. Les fermes collectives ont été démembrées et affermées entre les paysans sur une base égalitaire, mais L’État reste le propriétaire du sol ce qui n’incite pas les agriculteurs à réaliser des investissements, ni même à assumer de façon correcte l’entretien des infrarructures.
Le paysage tend donc à redevenir semblable sur de vastes espaces, aux campagnes décrites par P. Gourou et, avant lui, par J.-L. Buck et E. Reclus. Cela pour les campagnes profondes car l’on observe des changements rapides autour des grandes agglomérations : diversification par la production de fruits et légumes, emploi intensif d’engrais artificiels, arrosage par aspersion. Même sur ces espaces relativement limités et bousculés par l’expansion urbaine, la caractéristique fondamentale reste l’accumulation de travail humain sur de très petites exploitations dont la taille dépasse rarement un hectare mais qui emploient 2,5 actifs par hectare. Lorsqu’ils existent, le tracteur ou le motoculteur ne servent guère que pour le charroi et la bêche reste le principal outil de travail.
Le riz n’est pas semé mais repiqué (gain d’espace et surtout gain de temps qui conditionne la seconde récolte annuelle) et ce repiquage soigné permet, par la suite, l’arrachage des plantes parasitaires à la main. La minutie du travail autorise une occupation poussée de l’espace cultivé avec culture de légumes sur la crête des diguettes délimitant de minuscules parcelles, pisciculture associée à l’irrigation (tilapias), utilisation d’engrais végétaux ou animaux et élevage du porc qui se nourrit des détritus.
Cette intensité de la relation entre les hommes et la terre qu’ils cultivent pose entre autres problèmes, celui de la salubrité de milieux qui, à l’instar de ceux des cuvettes désertes d’Afrique ou d’Amazonie, sont constamment chauds, souvent humides, et largement pourvus d’anophèles. P. Gourou a formulé sur ce point une hypothèse fondée sur le contrôle total des eaux qui circulent sans cesse dans la rizière, ne stagnent jamais mais sont boueuses, ce qui entraverait le cycle de développement des anophèles vecteurs de la malaria. Celle-ci serait au contraire présente dans les eaux claires des montagnes, ce qui expliquerait le contraste entre pentes désertes et terres planes surpeuplées. Pour séduisante qu’elle soit, cette hypothèse n’empêche pas certaines espèces d’anophèles d’être omniprésentes. Tout au plus peut-on constater qu’une emprise totale sur le sol et l’eau, soutenue par de fortes densités, aboutit à une artificialisation du milieu telle, que l’ensemble de l’écosystème est subordonné à sa composante anthropique.
Pour autant, la maîtrise de l’eau n’implique pas la maîtrise totale du milieu et celle-ci connaît des limites dont la plus évidente tient au faible contrôle des pentes. Non que celles-ci ne soient pas mises en valeur, mais elles le sont mal. Si, dans la Chine méridionale, notamment le Ghuangzu, il existe des champs en terrasse bien aménagés et occupés par des plantations d’agrumes et des théiers, il n’en va pas de même dans la Chine du loess où les terrasses aménagées sans murs de soutien sur des pentes raides accélèrent l’érosion par ruissellement sur des croûtes superficielles ou provoquent l’éboulement de parois verticales fissurées . À l’échelle du pays et de façon plus générale, les campagnes de stabilisation des pentes par reforestation, entreprises par le régime communiste, ont pratiquement cessé depuis 1979. La demande de bois d’œuvre s’ajoutant à la consommation domestique de charbon de bois, 10 % des forêts chinoises ont été liquidées entre 1980 et 1990 . Le rythme des coupes excédant celui de la croissance des arbres, le déboisement pose de sérieux problèmes non seulement sur le bassin du Huang-He mais aussi sur celui du Changjiang où l’on estime que l’érosion consécutive au déboisement a grandement contribué à l’aggravation du ruissellement lors de la crue catastrophique de juillet-août 1998.
Il semble acquis que ce système traditionnel, déséquilibré par l’accroissement de la pression démographique et par la réduction des surfaces cultivables consécutive à l’expansion urbaine, mais aussi déstabilisé par la succession d’orientations politiques peu cohérentes entre elles, appelle une remise en cause. Celle-ci passerait par le délestage des effectifs, la restructuration des exploitations, le recours à la mécanisation, l’utilisation d’engrais et la substitution du gaz au charbon de bois. En attendant, et conformément à une longue tradition, la main-d’œuvre rurale trouve un complément d’occupation et de ressources dans l’artisanat (villages de potiers, de briquetiers, de tisserands) ou l’industrie manœuvrière en milieu rural.
Ce modèle, qui est aussi celui du Viêt-Nam du Nord (delta du fleuve Rouge) ne se retrouve pas dans la Chine du Nord, où ce sont les digues, celles du Huang-He notamment et non pas le riz, qui constituent l’élément essentiel de la maîtrise de l’eau. L’irrigation y tient également moins de place, la gamme des cultures y est plus diverse et la maîtrise de l’espace moins absolue, notamment sur le delta. La subordination aux contraintes de l’eau et les disciplines qu’elle impose n’en restent pas moins une constante.
Entendons par contraintes, la nécessité de protéger les terres cultivées des vallées et des deltas contre les crues, d’amener et de contrôler l’eau sur de vastes périmètres, d’établir des calendriers hydrauliques contraignants qu’il s’agisse du temps de travail sur les digues, de l’ouverture et de la fermeture des vannes d’amont en aval ou du curage des canaux et de l’entretien des installations fixes. Appliquées sur de petits bassins, ces contraintes peuvent être traitées à l’échelle d’un village. S’agissant des fleuves et deltas, elles exigent à la fois la cohésion de vastes groupes et l’établissement de structures hiérarchiques efficaces et étendues, ce qui renvoie à la thèse de K. Wittfogel.
Nouvelle donne mais pression accrue sur le Nil égyptien
Jusqu’à la mise en eau du haut-barrage d’Assouan en 1964, la vie des campagnes égyptiennes est restée pratiquement immuable depuis les temps pharaoniques1, dans un cadre circonscrit par le désert et strictement limité aux terres irrigables par le Nil. Le calendrier agricole était réglé par la crue du fleuve qui survenait à la fin du mois d’août. Le Nil débordait, humectait les terres sur route la largeur de sa vallée et circulait lentement dans des systèmes de casiers bods) où ses eaux se décantaient en déposant un limon fertile. Suivait une série de récoltes qui associaient jusqu’aux temps modernes, le blé, les lentilles et des plantes fourragères. Par la suite, la culture obligatoire du coton (le produit de sa récolte constituant de fait un impôt d’Etat depuis les réformes de Mohamed Ali au XIXe siècle) était venu s’insérer dans ce système où le temps de latence culturale était relativement réduit.
Mis à part le calendrier et la substitution du blé au riz, cette organisation présentait de nombreux points communs avec le modèle chinois : intensité du travail humain sur de très faibles surfaces, avec pour contrepartie une faible productivité par unité de travail ; hiérarchisation sociale contraignante, seule capable d’assumer la gestion rationnelle d’un système complexe de levées et de canaux ; lente évolution avec le creusement de canaux de dérivation vers le Fayoum, l’érection d’un premier barrage de faible capacité en aval d’Assouan au début du siècle et l’aménagement partiel des basses terres du delta en casiers rizicoles.
La remise en cause, inéluctable et prévisible de longue date, tenait à un double constat dont le premier terme était la croissance démographique soutenue d’un pays dont la population restait à 80 % composée d’agriculteurs et pour laquelle l’effectif était passé de 3 à 30 millions entre 1830 et 1956 (et à 65 millions en 1997, les agriculteurs représentant encore 54 % de la population active à cette date). Face à cette donnée permanente, l’irrégularité des crues constituait un second terme qui faisait planer un sentiment latent d’insécurité : trop faible, la crue ne suffisait pas à féconder la totalité des terres, trop forte et trop longue, elle causait des dégâts et raccourcissait dangereusement la durée de la campagne agricole. Dans l’un et l’autre cas, la disette si ce n’est la famine frappait le pays .
La rupture avec la tradition passait obligatoirement par la construction d’un barrage dont la capacité devait être telle (162 km3) qu’elle puisse garantir à la fois une meilleure régularité de la ressource, un étalement du calendrier agricole sur tout l’année et la conquête de terres nouvelles. Ces objectifs ont été réalisés tout au moins sur un plan formel, avec notamment le passage de la superficie cultivée de 5,7 à 7,6 millions de feddans par aménagement des basses terres du delta et création de nouvelles surfaces cultivées dans le désert occidental et au Sud-Est du delta.
Certains des résultats acquis semblent pourtant précaires : la salinisation* des sols, consécutive à une mauvaise adaptation des pratiques d’arrosage au changement qu’implique le barrage, menace. D’autre part, la lente reconversion d’une économie dirigiste et socialiste instaurée en 1956 vers une économie de marché, amorcée dès 1979 et avérée depuis 1991, implique la liquidation des grandes exploitations socialistes et leur difficile partage entre petits exploitants, propriétaires terriens et grandes entreprises capitalistes. Enfin, ces progrès modestes sont incessamment remis en cause par un taux de fécondité qui induit un doublement de la population sur trente ans. Comme par le passé, l’Egypte procède du Nil, mais il n’est pas sûr que les ressources prodiguées par le fleuve puissent suffire à une soif de terre toujours croissante. À cela s’ajoute le problème délicat des relations avec les riverains d’amont qui font valoir sur les eaux du fleuve, des droits qui semblent incompatibles avec le maintien de la dotation égyptienne.
Une maîtrise de l’eau incomplète dans l’espace gangétique
Comme la Chine, l’Inde est à l’origine d’une civilisation hydraulique parmi les plus anciennes. Mais à la différence de la Chine, il n’y a pas eu dans une longue séquence temporelle (exception faite pour le royaume de Maghada qui donna pendant un temps une certaine unité à la moyenne vallée du Gange), de société puissamment hiérarchisée, imposant une gestion rigoureuse de la ressource hydraulique sur de vastes espaces. Partant, pas d’aménagements dont l’importance soit comparable à ceux des grandes vallées et des deltas chinois. Pourtant, le riz tient dans l’ensemble du système Gange-Brahmapoutre Meghna, vallée et deltas inclus, une place aussi importante qu’en Chine1. La distinction s’impose toutefois entre la plaine du Gange, indienne et le delta qui correspond – marges occidentales exclues – au Bangladesh.
La plaine du Gange bénéficie de deux types de ressources hydriques : les pluies, plus abondantes à l’Est où leur hauteur permet la culture pluviale du les eaux dérivées par des canaux établis sur des crêtes d’interfluves, les doabs a partir des affluents du Gange en provenance soit de l’Himalaya, soit du rebord septentrional du Dekkan. L’Est paraît indubitablement favorisé. Pourtant, c’est dans l’Ouest plus sec que les canaux sont le mieux entretenus et le mieux utilisés, de sorte que deux ou trois cultures se succèdent chaque année : blé, plus que -z, maïs, mil, canne à sucre, légumineuses. Vers l’Est, les pluies suffisent à donner une récolte de riz et les canaux permettraient une seconde récolte en saison sèche, n’étaient les pesanteurs sociales qui affectent la région (proprié¬taires absentéistes et tenures précaires). Plus que des canaux, l’irrigation procède du remplissage à la saison des pluies, de chaînes d’étangs, les tanks, qui assurent un complément d’arrosage aux rizières. Dans ce système complexe, pluies, grands canaux, tanks, le Gange ne figure guère qu’au titre de niveau de base, encore que quelques cultures de décrue occupent son lit majeur en hiver.
La maîtrise de l’eau est encore moindre dans le complexe deltaïque du Bangladesh. A cela des raisons naturelles : les pentes sont si faibles que la moindre surcharge alluviale des trois grands fleuves entraîne leur défluvation, de sorte que l’opinion générale veut que ni le Gange ni le Brahmapoutre ni la Meghna n’empruntent le même cours d’une année sur l’autre. Contrepartie de cette instabilité, 230 cours principaux, résiduels, en formation, affluents ou defluents se partagent le territoire qui est littéralement haché par un maillage complexe de plans d’eau stagnante, de cours d’eau et de bourrelets alluviaux. A cela s’ajoute une non moindre instabilité de la ligne de rivage, occupée par une vaste mangrove et qui aurait tendance à progresser vers le large grâce à un apport de sédiments évalué à 2 400 millions de tonnes (dont 1 500 pour le Gange), n’était la tendance du plancher sédimentaire à s’enfoncer cependant que le niveau de la mer aurait tendance à remonter. Cette instabilité latente est aggravée par des coupes de bois mal contrôlées dans la mangrove.
Dans ce contexte, la moindre crue opère des ravages redoutables, bien que le pays souffre souvent de la sécheresse : si les débits de crue combinés des trois fleuves atteignent 150 000 m /s, leurs débits hivernaux ne dépassent guère les 6 000 m3/s. Les aléas sont d’autant plus grands que les crues peuvent coïncider avec des typhons qui font refluer les eaux du golfe sur un espace surbaissé. Les crues : celle de 1988 a submergé durablement 54 % de la surface totale du pays, détruit 20 % des récoltes et causé la mort de 1 200 personnes ; en année moyenne, crues et défluviations détruisent 1,7 million de tonnes de récoltes vivrières. Les typhons: celui de mai 1985 a noyé 17 000 personnes, celui d’avril 1991 a fait mieux, avec 300 000 morts . Les sécheresses : elles détruisent en moyenne 1,4 million de tonnes par an de récoltes sur pied. De toute évidence, ce constat appelle la maîtrise de l’eau par endiguement et irrigation. Malheureusement, le Bangladesh est totalement asservi au bon vouloir de l’Inde qui se refuse à tout aménagement régulateur.
Ces conditions déplorables sont aggravées par deux facteurs négatifs, l’un administratif, l’autre foncier. Au plan administratif, il y a peu à attendre d’une gestion de l’espace répartie entre 13 ministères également dépourvus de moyens mais dont l’action n’est pas coordonnée ; se pose au demeurant un problème de continuité des choix politiques en matière d’aménagement, dans un pays qui a connu cinq coups d’Etat depuis sa fondation en 1970. Le problème foncier semble insoluble, d’une part parce que la terre appartient pour l’essentiel à des propriétaires urbains et absentéistes qui se contentent de prélever la moitié de la récolte et ne consentent aucun investissement ; d’autre part parce que les paysans sans terre qui forment le gros de la population rurale (57 %) sont voués à l’instabilité par des contrats précaires, sur des exploitations trop petites dont la dimension moyenne est de l’ordre de 0,7 hectare en dix parcelles.
Dans ces conditions, les performances de l’agriculture ne peuvent être que décevantes : pas d’outillage, pas d’engrais, pas d’infrastructures en dehors de puits qui, de façon générale, ne sont ni tubés ni motorisés. Le contrôle des eaux s’avérerait au demeurant difficile compte tenu de l’instabilité des lits fluviaux et du manque de matériaux pour consolider des digues qui seraient vite rompues par l’exhaussement des cours d’eau sur leurs lits. La production, dominée par le riz, comprend trois types de cultures réparties selon leur niveau altimétrique : les bourrelets fluviaux soustraits aux inondations portent une récolte pluviale (culture aman) ; les terres arrosables par dérivation des hautes eaux portent deux récoltes dont une irriguée (récolte aus) ; enfin, les terres les plus basses sont cultivées en riz flottant récolté lors de la phase de décrue. Tout cela est misérable et Bangladesh, faute d’aménagements appropriés, faute également de cohésion sociale, faute enfin d’accord avec son puissant voisin, reste l’un des Etats les plus pauvres (PIB/hab. 240 $), sur l’une des terres potentiellement les plus fertiles du monde.
Vidéo : Fleuves nourriciers et foules paysannes
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