La physiologie de l'allimentation et les fondements de goût
La physiologie de l’alimentation et les fondements du goût
L’alimentation apporte aux hommes l’eau, les éléments minéraux et les matières organiques nécessaires à l’entretien, au renouvellement ou à la croissance de leurs tissus, et l’énergie indispensable à leurs activités et au maintien de la température uniforme de leur organisme. Les glucides sont les grandes sources d’énergie, mais les lipides jouent un rôle assez voisin ; les protéines sont indispensables à la constitution des cellules du corps humain. Celles qui sont d’origine végétale ne contiennent pas tous les éléments utiles — c’est le reproche que l’on fait aux régimes purement végétariens. De petites quantités de calcium, de phosphates, d’iode, et une gamme complexe de vitamines sont indispensables à l’équilibre alimentaire. Les hommes ont enfin besoin du sodium du sel. C’est pour leur saveur que beaucoup de produits sont consommés.
Les vertus excitantes de l’alcool et l’ivresse qu’il procure ont de tout temps frappé les hommes, et expliquent qu’il soit l’objet de cultes ou que sa consommation soit prohibée. Les substances hallucinogènes (il s’agit généralement d’alcaloïdes) sont de même à la fois recherchées et redoutées — souvent prohibées. La mescaline contenue dans un champignon, le peyotl, faisait accéder certains peuples mexicains à des états seconds (al Faruqi et Sopher, 1974). La transe chamanique était favorisée, en Asie centrale, par un autre champignon hallucinogène, agaricus muscarius, ou par les fumées du chanvre indien. D’autres produits sont appréciés par leur effet stimulant — le café, le thé et le cacaco doivent aux alcaloïdes qu’ils contiennent, caféine ou théobromine, de tenir les gens éveillés et de rendre leur conscience plus claire. Une part importante de la dimension religieuse et de la signification sociale de l’alimentation tient aux effets psychologiques de beaucoup de substances.
Le plaisir fondamental que l’on tire de l’alimentation vient de ce qu’elle excite le goût et dans une large mesure, l’odorat (Pitte, 1991). Le salé et le sucré, l’acide, l’aigre, les goûts et les odeurs associées au brûlé, au fumé, et ceux qui rappellent les fruits sauvages se combinent avec la texture des aliments, la présence ou l’absence de gaz dans les boissons et la température où les produits sont servis, pour varier à l’infini les sensations. La physiologie du goût repose sur les aptitudes naturelles de chacun, mais les habitudes alimentaires contractées dans l’enfance ou progressivement acquises, conduisent à privilégier certaines saveurs : chacun connaît l’étonnement des peuples d’Extrême-Orient lorsqu’ils découvrent pour la première fois les fromages français, et leur difficulté à les apprécier tout de suite.
La conservation des denrées alimentaires
Les produits que l’homme consomme résultent de la cueillette, de la pêche, de la chasse, de l’élevage ou de l’agriculture. Dans les zones de climat équatorial humide, la croissance et la fructification n’ont pas de rythme privilégié, ce qui dispense de faire des provisions. Ailleurs, la production alimentaire est partout saisonnière : il faut prévoir au moment de la récolte ce dont on aura besoin
Jusqu’au retour de conditions favorables, le mettre de côté, et veiller à ce qu’il ne se dégrade pas (Maurizio, 1932).
La conservation après dessiccation est le procédé le plus général : elle convient bien aux céréales et aux légumineuses, dont les grains se conservent presque indéfiniment lorsqu’ils sont tenus à l’écart de l’humidité et protégés de la dent des rongeurs. Dans certains cas, pour le maïs par exemple, c’est l’épi qui est conservé. Longtemps, les récoltes de blé des pays tempérés froids étaient engrangées avant <l’être dépiquées : les hommes battaient le grain au fléau au fur et à mesure des besoins (Trochet, 1993). Toutes les fois que c’est possible, c’est le grain déjà séparé qui est stocké : le volume à mettre à l’abri est plus réduit et les conditions de préservation sont meilleures. Les grains se transportent facilement : le poste essentiel du commerce alimentaire à longue distance a toujours été celui des céréales.
D’autres substances se conservent après séchage : légumes, champignons, fruits, poisson, viande. Les conditions à réunir pour que l’opération se passe bien ne sont pas présentes partout : il faut une faible hygrométrie, une atmosphère agitée, des températures suffisantes. Le procédé est donc exclu durant la saison des pluies des pays tropicaux ou de mousson, dans beaucoup de milieux tempérés et dans les climats froids. En montagne, et par suite de la très faible hygrométrie, les résultats sont en revanche excellents — on pense à la viande séchée des ( irisons ! Pour faciliter l’opération, les produits sont préalablement débités en Hanches fines.
Le saurissage garantit la conservation des denrées très périssables : à la dessiccation que le feu accélère s’ajoute la préservation qu’assurent les goudrons de la fumée. Le procédé est particulièrement efficace pour le poisson ou pour la viande.
Le sel assure la préservation des viandes ou du poisson quelles que soient l’humidité atmosphérique et la température. Cela explique la place essentielle que tenait ce produit dans les échanges traditionnels. Durant tout le Moyen Age, les Hottes de l’Europe septentrionale se donnaient rendez-vous en baie de Bourgneuf pour ramener le sel indispensable aux éleveurs et aux pêcheurs des pays de la mer du Nord et de la Baltique (Hauser, 1927 ; Meyer, 1982). Jusqu’à l’irruption des transports modernes, le sel constituait une part importante des transports caravaniers entre le Sahara et les pays soudaniens au Sud ; ces relations n’ont pas complètement cessé.
L’acidité arrête la plupart des altérations. La fermentation qui lui donne naissance peut être utilisée de deux manières :
- la transformation directe conduit à l’élaboration de produits comme les chou-croutes de choux ou de raves, selon un procédé connu et largement utilisé de l’Est de la France à la Corée ;
- L’immersion de fruits ou de légumes dans du vinaigre assure leur préservation indéfinie : le procédé est employé pour les cornichons, les câpres, les Gurken ou les pickles.
La fermentation lactique permet d’obtenir des produits variés : yaourts, kéfirs, fromages blancs, fromages à pâte dure. Ils se conservent inégalement, mais toujours mieux que leur matière première, le lait. Leur différenciation reflète l’extraordinaire inventivité des cellules paysannes et le rôle de la distance au marché. Lorsque la proportion du sucre dans un produit est assez forte, la plupart des fermentations sont stoppées. La préservation des récoltes de fruits est alors possible sous forme de confitures — mais il faut pour cela que l’on sache produire du sucre raffiné. L’intérêt de la technique était faible dans les pays subtropicaux qui produisent des fruits toute l’année : son utilisation ne s’est largement diffusée que lorsque l’approvisionnement en sucre des pays tempérés est devenu possible à des prix modérés — dans le courant du xve siècle en fait, grâce aux progrès de la production aux Antilles ou dans le Nord-Est du Brésil.
La fermentation alcoolique transforme les sucres en alcool. Le processus s’arrête spontanément, quelle que soit la teneur initiale du liquide, lorsque la concentration en alcool atteint 16°. À partir de 4 ou 5°, et à la condition que le produit ne soit pas exposé à une oxydation trop rapide, la solution se garde sans subir de transformation majeure. Dans des sociétés où il était difficile de trouver de l’eau non polluée, les boissons alcoolisées apparaissaient plus saines.
C’est aux Arabes que l’on doit la distillation qui permet de dépasser le seuil des 16°. Les alcools ainsi obtenus ont très vite été recherchés pour leurs propriétés médicinales supposées, pour la facilité avec laquelle ils conduisaient à l’ivresse et pour leur goût et leur longue conservation. Us ont permis aussi d’assurer la préservation de fruits.
La conservation d’un produit préalablement stérilisé s’effectue bien lorsqu’il est à l’abri de l’air. La technique du confit repose sur cela : la viande est cuite dans la graisse, c’est-à-dire à température assez forte pour assurer la destruction des germes. Elle est gardée dans des pots où une épaisse couche de graisse surmonte les quartiers.
Les procédés de conservation ont beaucoup changé au cours des deux derniers siècles. Le sucre a baissé de prix, ce qui a favorisé la diffusion des confitures. Nicolas Appert invente aux alentours de 1790 un procédé de stérilisation par le chaud et de conservation anaérobie qui est le point de départ de l’industrie moderne de la conserve : il le rend public en 1812. La fabrication bon marché de boites en fer-blanc donne, à partir de 1840, une extension nouvelle à cette technique. Dès que le rôle des bactéries est mis en évidence, il devient possible de prolonger la conservation de certaines denrées, les produits laitiers par exemple, en les élevant à des températures relativement modérées (95° durant quelques secondes pour la pasteurisation haute, 63° durant 30 minutes pour la pasteurisation basse). Ces procédés ont l’avantage de ne pas détruire les vitamines.
La préservation par le froid était pratiquée par tous les peuples de pays aux hivers rudes, mais le procédé restait saisonnier. La mise au point par Charles Tellier de machines frigorifiques et leur utilisation dès 1876 pour les transports maritimes transforment le problème : il est désormais possible d’assurer à 4° la conservation des produits frais durant plusieurs jours, et à -18° celle de tous les produits pour des périodes longues — plusieurs années.
La gamme des techniques de conservation s’est élargie au cours des cinquante dernières années grâce à la congélation rapide qui, en amenant très vite les produits à — 18°, évite la ségrégation de la glace, l’éclatement des cellules et l’altération du goût ; elle s’est enrichie aussi par le recours à la forme de séchage poussée que constitue la lyophilisation (une dessiccation obtenue par sublimation à très basse température, ce qui prévient les modifications de goût généralement associées à ce procédé), par la conservation en atmosphère inerte pour les fruits e( les légumes, et par le recours aux radiations ionisantes. Les procédés chimiques offrent une gamme sans cesse étendue micro-organismes, d’antibiotiques, d’antioxydants ou d’antigerminatifs qui conduisent à la préservation de la plupart des qualités des produits frais.
Les techniques de conservation sont extrêmement diverses et d’efficacité inégale. Elles entraînent des modifications organoleptiques des aliments : certains de leurs composants sont détruits, certaines de leurs qualités de goût et de leurs parfums disparaissent, alors que d’autres sont ajoutées ; la texture est souvent transformée. On ne comprend pas l’alimentation si on ignore comment les produits ont été conservés : ce qui est à la disposition des cuisiniers dépend de ce qu’offre l’environnement local, des procédés qui permettent de préserver les denrées qui en sont issues et des moyens de transport qui facilitent l’achemine¬ment de produits venus d’ailleurs.
Vidéo : La physiologie de l’allimentation et les fondements de goût
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La physiologie de l’allimentation et les fondements de goût