Glaces et climat
De bien faibles variations d’ensoleillement
Approximativement tous les 100 000 ans, la Terre entre dans une nouvelle phase de glaciation. Pendant des dizaines de milliers d’années, la glace s’accumule progressivement sur le nord des continents, jusqu’à former des calottes glaciaires, ou inlandsis, de plusieurs kilomètres d’épaisseur. La fin de la glaciation est au contraire marquée par une débâcle complète des calottes en quelques milliers d’années seulement. Libérée de son carcan de glace, la Terre jouit alors d’un climat plus chaud, jusqu’à ce qu’une nouvelle glaciation se produise quelques 10 000 années plus tard.
Avec le même rythme, l’orbite terrestre passe d’une ellipse légèrement aplatie à un cercle parfait. Il s’ensuit une diminution du flux solaire reçu en moyenne annuelle par la Terre mais dont l’amplitude ne dépasse pas 0,2%, soit moins de 0,5 W/m2. Or, on estime qu’entre un climat interglaciaire et le maximum de la glaciation, la température à la surface de la Terre diminue en moyenne de 4 à 5 °C et que la variation d’énergie mise en jeu atteint environ 5 W/m2, soit dix fois plus.
Les changements d’excentricité ne suffisent donc pas à eux seuls pour expliquer les glaciations. S’ajoutent également les variations d’ensoleillement qui résultent des oscillations de l’obliquité et de la précession des équinoxes. Celles-ci modifient la répartition saisonnière de l’ensoleillement: elles modulent en particulier l’intensité lumineuse reçue en été sous les hautes latitudes qui à son tour influe sur le maintien ou la fonte de neige. Néanmoins, même si localement et à une saison donnée elles peuvent conduire à des variations d’ensoleillement atteignant 30 W/m2, leur effet moyen sur une année s’annule globalement. De plus, elles s’exercent sur des périodes plus courtes que celle qui rythme les cycles glaciaire-interglaciaires. Pour expliquer les glaciations, il faut donc faire intervenir d’autres mécanismes !
Des mécanismes amplificateurs
Lors d’un refroidissement du climat consécutif à une diminution de l’ensoleillement reçu par la Terre, la neige recouvre une plus grande étendue des continents. Or, la neige ayant la propriété de réfléchir fortement le rayonnement solaire, bien plus qu’un sol nu, un couvert végétal ou la surface de l’océan, elle diminue de ce fait l’énergie solaire absorbée par la surface et renforce le refroidissement initial, assurant ainsi le maintien de la couverture neigeuse. Ce mécanisme, qualifié de rétroaction positive, est donc capable d’amplifier le refroidissement initial. Mais, bien que ce phénomène favorise la formation d’un nouvel inlandsis, il ne suffit pas toutefois pour rendre compte de l’ampleur des glaciations.
Une autre clé du problème a été découverte au cours des années 1980 grâce à l’analyse des bulles d’air piégées dans les glaces au cours de leur formation. Un forage réalisé à la station de Vostok, en Antarctique, a ainsi permis de lever le voile sur 160 000 ans de l’histoire de la composition de l’atmosphère .
La concentration de gaz carbonique a varié au cours du dernier cycle glaciaire-interglaciaire, passant d’une valeur de 280 millionièmes du volume d’air lors des épisodes climatiques les plus chauds à 200 millionièmes seulement au paroxysme de la dernière glaciation. Des mesures plus récentes, réalisées au moyen du même forage, indiquent que la concentration de méthane a également suivi une tendance similaire, variant entre 0,7 et 0,3 millionième. Or. gaz carbonique et méthane contribuent tous deux à l’effet de serre qui réchauffe la surface de la Terrr. Ils absorbent une partie du rayonnement infrarouge émis par la surface et le renvoient en direction de celle-ci, au lieu de le laisser s’échapper vers l’espace. Teneurs plus faibles dans les périodes froides et teneurs plus élevées dans les périodes chaudes renforcent donc les variations du climat. On estime que ces seuls changements de composition pourraient expliquer près de la moitié du refroidissement global estimé pour une période glaciaire.
Ainsi, l’albédo de la neige et les variations de la teneur des gaz à effet de serre sont deux mécanismes qui amplifient la faible diminution initiale de l’ensoleillement. Ces processus sont toutefois loin d’apporter toutes les réponses aux questions posées par les changements du climat, en particulier la rapidité avec laquelle la glaciation prend fin.
La dynamique des glaces entre en jeu
Il y a 15 000 ans, soumises à un ensoleillement estival un peu plus intense, les glaces ont commencé à fondre. Mais, alors que la formation des inlandsis a duré plusieurs dizaines de milliers d’années, quelques milliers d’années ont suffi pour faire disparaître les millions de kilomètres cube de glace accumulés sur les continents. Plusieurs processus semblent avoir accéléré cette disparition des calottes.
Un glacier s’écoule sous l’action de son poids depuis les régions les plus hautes, où la neige s’accumule, jusqu’aux zones les plus basses, où la glace fond. La glace peut ainsi parcourir plusieurs centaines de mètres par an. Les contraintes exercées par ce mouvement sont fortes et provoquent la formation de nombreux séracs, ou crevasses, en surface de la glace. Ce processus est également à l’origine de la formation d’icebergs. En Antarctique, en Alaska ou au Groenland, sous l’action de ces pressions, les falaises de glace finissent par se morceler en gros blocs de glace qui se détachent des continents et chutent à la mer. Au cours de la déglaciation, ce processus a très probablement accéléré la débâcle des glaces. L’écoulement de glace, facilité par le volume et l’extension des inlandsis alors à leur maximum, a dû produire en peu de temps une masse considérable d’icebergs. En tombant dans les océans, ils ont élevé le niveau général des mers, activant en retour la formation d’icebergs par l’érosion des falaises de glace par l’eau.
Sous l’effet du poids de la glace, le socle rocheux supportant les inlandsis subit une importante pression qui modifie également le temps de réponse des calottes glaciaires à un changement d’ensoleillement. La lithosphère superficielle, relativement rigide, s’enfonce sous le poids des glaces en comprimant les couches plus profondes de l’asthénosphère. Cet affaissement est loin d’être négligeable. Le poids d’une calotte de trois kilomètres d’épaisseur peut contribuer à un abaissement de son altitude d’environ un kilomètre, induisant par là-même un réchauffement de plusieurs degrés qui accélère la fonte de la glace. Ce comportement du socle rocheux est toutefois fort lent, nécessitant au moins une dizaine de milliers d’années avant de s’établir. C’est la raison pour laquelle le socle rocheux de la Scandinavie continue actuellement à remonter à une vitesse de l’ordre d’un mètre par siècle, en réaction à la fonte de la calotte qui la recouvrait, il y a plus de 10 000 ans. Par sa lenteur, ce processus, connu sous le nom de réajustement isostatique, engendre une dissymétrie entre les phases d’accumulation et de fonte des calottes. Il favorise l’accumulation de glace tant que l’enfoncement du socle n’est pas significatif, mais au contraire accélère la fonte dès qu’une baisse notable de l’altitude de la calotte se produit.
Un climat glaciaire très instable
La période de déglaciation apparaît elle-même jalonnée d’importantes variations du climat. Après un premier redoux, le climat entre à nouveau dans une phase glaciaire pendant un millier d’années, il y environ 12 500 ans. Ce retour au froid, qui a pris le nom d’une fleur trouvée en Scandinavie, le «Dryas», reste encore mal compris. L’explication la plus débattue s’appuie sur l’écoulement des eaux de fonte de la calotte Laurentide. Au cours de la déglaciation, ces eaux, qui se déversaient dans le Golfe du Mexique, sont détournées vers l’Atlantique Nord lorsque le fleuve Saint Laurent dégèle. Il s’ensuit un apport d’eau douce qui diminue la densité de l’eau de mer. La circulation thermohaline s’affaiblit et bloque l’apport de chaleur vers les hautes latitudes, entraînant un retour vers le froid. Bien que séduisante, cette hypothèse n’est cependant pas étayée par les observations de la circulation profonde dans l’Atlantique Nord et l’épisode dit du «Dryas récent» garde encore ses mystères. Encore plus surprenant, les glaces du Groenland nous apprennent que cet épisode prend fin en moins d’une dizaine d’années. Un changement aussi rapide n’est cependant pas unique. Il marque la fin d’une succession Evénement- ments similaires qui se sont produits tout au long de la dernière période glaciaire. Tous les 7 000 à 10 000 ans, les sédiments de l’Atlantique Nord témoignent d’une arrivée massive d’icebergs depuis la calotte Laurentides. Ces événements, découverts par Hartmut Heinrich en 1988, se produisent au maximum de froid et sont suivis par un brusque réchauffement, de 7 à 10 °C, en quelques dizaines d’années seulement. Les icebergs apportent une quantité importante d’eau douce dans l’océan qui diminue fortement l’intensité de la circulation ther- mohaline. Suivant un modèle simple, il s’ensuivrait une accumulation d’énergie dans les régions tropicales qui, lorque la circulation redémarre, pourrait être rapidement transportée aux hautes latitudes et expliquer une brusque remontée des températures. Les glaces du Groenland montrent que de tels réchauffements se produisent également tous les 1 500 à 2 000 ans. Ces évènements, dits de Dans- gaard-Oeschger, du nom des scientifiques qui les ont mis en évidence, semblent être aussi associés à des débâcles d’icebergs mais en provenance de la calotte Scandinave. Les mécanismes qui engendrent ces successions de changements rapides du climat dans l’Atlantique Nord restent encore incompris. Dans ce cas, les changements d’ensoleillement ne peuvent être mis en cause et nous faisons face à une interaction complexe entre l’atmosphère, les océans et les calottes de glace. Il reste à élucider quelle est la cause et quelle est la conséquence.
Le jeu des multiples interactions
Albédo de la neige, teneur en gaz à effet de serre, dynamique des glaces et enfoncement du socle rocheux sont autant de mécanismes qui modulent fortement la réponse du climat au changement d’ensoleillement. Il est même fort probable qu’ils jouent un rôle déterminant dans la génération du cycle de 100 000 ans qui domine les glaciations, ceci indépendamment des variations d’excentricité. Certaines études théoriques suggèrent en effet que le jeu des multiples interactions non-linéaires qui interviennent entre l’atmosphère, les glaces et la lithosphère peut produire des oscillations du climat tous les 100 000 ans en réponse aux seuls changements d’ensoleillement survenant aux périodes de 41 000. 23 000 et 19 000 ans.
Nous sommes cependant encore loin de comprendre l’enchaînement des mécanismes reliant les variations des paramètres orbitaux aux changements du climat. Les changements abrupts qui se produisent en période glaciaire illustrent à quel point les interactions entre l’atmosphère, les océans et les glaces sont capables de produire d’importantes variations du climat. De plus, la biosphère — l’ensemble des organismes vivants — longtemps ignorée dans l’étude des variations climatiques, pourrait bien être le chaînon essentiel pour comprendre le changement des quantités de gaz carbonique et de méthane dans l’atmosphère, constaté au cours des glaciations successives.