Le forage de vostok
La réalisation d’un carottage de 2 000 m de profondeur en plein cœur de l’Antarctique représente une prouesse tant humaine que technique.
Sous des températures variant entre -80 °C et -40 °C et à plus de 1000 km des côtes, une équipe d’une vingtaine de personnes assure en permanence le fonctionnement de la station soviétique de Vostok. Les premiers forages ont débuté dès 1970, mais ce n’est qu’en 1986 que la profondeur de 2 202 m a été atteinte. Dans les conditions optimales, deux années de travail journalier, y compris pendant la nuit polaire, devaient suffire pour extraire 2 000 m de glace mais, malheureusement, les problèmes techniques furent nombreux. Ainsi, plusieurs forages ont du être définitivement interrompus, faute de pouvoir remonter le carottier prisonnier des glaces. Quand une telle difficulté se présente, un nouveau forage doit être entrepris depuis la surface. Un dernier forage a permis d’atteindre en 1998 la profondeur record de3623 m, donnant accès à l’histoire du climat des derniers 420 000 ans. Impossible d’aller plus profond sans risquer de polluer le lac situé sous la glace.
Les 3 623 m d’échantillons de glace ont été obtenus par extraction progressive de plusieurs centaines de carottes de 3 m de longueur. La découpe de la glace est réalisée à l’aide d’un carottier muni d’une résistance chauffante et d’une pompe destinée à extraire la glace fondue à la périphérie de la carotte, précaution sans laquelle l’eau gèlerait à nouveau et bloquerait le carottier. Dans d’autres forages, le carottier est muni d’un système de couteaux. Quelle que soit la technique utilisée, le forage conduit à la formation d’un trou dans la glace d’une quinzaine de centimètres de diamètre et profond de plusieurs centaines à quelques milliers de mètres. Pour éviter que les parois du conduit de forage ne s’effondrent sous l’effet de la très forte pression exercée par la glace environnante, on remplit le trou avec du kérosène, fluide assez dense, non miscible à l’eau et dont le point de congélation est très bas. Malgré toutes ces précautions, il peut arriver que le carottier se bloque et qu’il faille recommencer l’opération.
Après forage, la glace est étiquetée et conservée à la station. Mais la majorité des analyses ne peuvent être réalisées sur place. La glace doit donc être transportée jusqu’aux laboratoires (Laboratoire de glaciologie de Grenoble, en particulier) dans des malles frigorifiques où elle sera stockée dans d’immenses salles réfrigérées. On comprend aisément que ces travaux nécessitent une importante logistique, assurée dans notre pays par l’institut français de recherches et technologies polaires.
La théorie astronomique des climats
Pourquoi la Terre est-elle régulièrement soumise à des glaciations ? Quelle est l’origine du rythme de 100 000 ans qui règle l’apparition de ces glaciations? Autant de questions qui se posent pour comprendre l’évolution du climat lors des deux derniers millions d’années.
Bien avant que soit connu l’âge précis des glaciations successives, une théorie astronomique du climat avait été proposée dès la fin du siècle dernier. Cette théorie a surtout été développée par le mathématicien yougoslave Milutin Milankovitch à partir de 1924. La théorie de Milankovitch est fondée sur le calcul des variations séculaires de l’ensoleillement des différentes régions de la Terre résultant, non pas de fluctuations du rayonnement émis par le Soleil, mais de l’évolution du mouvement de la Terre autour du Soleil.
Au cours d’une année, le mouvement de la Terre décrit une ellipse autour du Soleil. Si aucun astre autre que le Soleil n’exerçait de force d’attraction gravitationnelle sur la Terre, ce mouvement resterait identique au cours du temps. Mais la Lune et les autres planètes du système solaire perturbent le mouvement de la Terre.
Tous les paramètres orbitaux qui caractérisent ce mouvement sont affectés. La forme de l’ellipse tout d’abord, caractérisée par le paramètre d’excentricité, varie d’un cercle parfait à une ellipse légèrement aplatie. L’obliquité, angle qui caractérise l’inclinaison de l’axe de la Terre par rapport au plan de l’orbite terrestre ou plan de l’écliptique, oscille également autour d’une valeur moyenne. La position de la Terre sur l’ellipse à un moment précis de l’année, l’équinoxe de printemps par exemple, évolue dans le temps, phénomène dénommé précession des équinoxes. Tous ces paramètres varient sous l’influence de l’attraction gravitationnelle exercée par les autres planètes, cela très lentement et d’une manière imperceptible à l’échelle de nos vies. L’excentricité varie avec des périodes de 100 000 et 400 000 ans, l’obliquité de 41 000 ans, et la précession des équinoxes de 23 000 et 19 000 ans. Toutes ces modifications des paramètres orbitaux affectent l’ensoleillement des différentes zones de latitude de la Terre, en particulier l’intensité du cycle des saisons. Suivant la théorie astronomique des climats, ces variations seraient suffisantes pour provoquer l’alternance entre climats glaciaires et interglaciaires. Cette hypothèse a été débattue durant de nombreuses années et a été fortement contestée jusqu’aux années 1970.
C’est alors que de nouvelles analyses réalisées sur des sédiments marins vinrent soudain étayer cette théorie. Non seulement un cycle de 100 000 ans module bien le rythme des glaciations, mais l’analyse plus détaillée des séries temporelles fait apparaître d’autres périodes plus courtes, proches de 43 000, 24 000 et 19 000 ans. L’accord entre les fréquences apparaissant dans les enregistrements climatiques et celles déduites de la théorie astronomique est tel qu’il ne peut s’agir d’une simple coïncidence.
Les paramètres orbitaux déterminent la répartition de l’énergie reçue aux différentes latitudes au cours des saisons et ils peuvent en cela jouer un rôle clé pour les phénomènes climatiques. D’après Milutin Milankovitch, le facteur qui déclenche les cycles glaciaire-interglaciaires serait l’ensoleillement reçu sous les hautes latitudes de l’hémisphère nord pendant l’été. Lorsque cet ensoleillement diminue, la neige tombée en hiver ne fond plus complètement pendant l’été et commence à s’accumuler. Du fait qu’elle réfléchit fortement le rayonnement solaire, elle tend elle-même à renforcer le refroidissement et amplifie le processus.
Vidéo : Le forage de vostok
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le forage de vostok