Le XVII ème siècle est-il continûment froid ?
D’éminents spécialistes comme Phil Jones (UK) ou Michael Mann (USA) considèrent le XVIIe siècle d’Henri IV, de Louis XIII et Louis XIV comme globalement plus froid (de 0,5 à 1°) que le XXe. Compte tenu aussi du Minimum de Maunder (1645-1715) qui serait circonstance aggravante. Rappelons qu’on doit distinguer incidemment, en tout cela, trois phases de forte intensité1 du PAG : 1303-1370 (pour mémoire) ; puis 1570-1630, enfin 1814-1860. S’agissant du xviie siècle, précisément, la tendance froide persistera, mais en s’atténuant quelque peu lors de la période 1630-1690 (en contraste avec la glaciale décennie 1690). Cette période 1630-1690 est caractérisée par des paquets de printemps-étés froids ; et inversement des étés souvent chauds lors des années 1630,1660 et 1680. Les années (d’hyper- PAG, elles) qui précèdent 1630 présentent en
revanche des intervalles de froid relativement intense : dans l’Atlantique, les masses de glace s’avancent aux alentours de la côte islandaise ; et s’accroissent simultanément les glaciers alpins : la Mer de Glace, disions-nous, descendait encore aux années 1620 jusqu’en bas de la vallée de Chamonix.
Et pourtant, nuances : lors de la période fraîche 1570-1630, chère à Pfister, on observe quand même que la phase 1598-1610 n’est pas précisément calamiteuse pour l’économie et l’agriculture ; les facteurs politiques, indépendants du climat, ne sauraient être négligés : en effet, la France connaît après 1598 une certaine prospérité due au retour de la paix (de Vervins) après les guerres de Religion, jusques et y compris lors du règne devenu dorénavant pacifique d’Henri IV et jusqu’à la régence de Marie de Médicis. On connaît, du reste, de très beaux étés, dont celui de 1616. Est-ce d’une façon générale la vraie période de la «poule au pot», même si le poulet du dimanche ne concerne en fait qu’une minorité de riches laboureurs ?
La décennie 1620 se révèle fraîche de nouveau et culmine avec la famine anglaise de 1622-1623, et puis l’année sans été 1628 en France ; enfin la famine du Sud-Ouest français en 1630 et, au printemps 1631, famine due à une récolte désastreuse par suite de pluies continuelles d’octobre 1629 à avril 1630.
Cependant il convient de souligner le concept de variabilité : la rude phase du PAG s’atténue à partir de 1630-1631. Les années 1630, en contraste avec les années 1620, se caractérisent par un groupe d’étés fort chauds (1635-1639). Le niveau des rivières est des plus bas, les eaux sont infectées ; en dépit de bonnes récoltes, on assiste à de fortes épidémies de dysenterie du fait de la salissure de ces plans d’eau trop amincis. Et puis déshydratation des bébés par excès des chaleurs estivales. D’où toxicoses et diarrhées pour ces petits êtres.
Les années 1640, en revanche, sont plus fraîches en printemps-été, spécialement de 1640 à 1643 ; puis en 1648, 1649 et 1650 : celles-ci étant par ailleurs les années de la première Fronde. Les peuples sont particulièrement atteints dans la moitié nord de la France, par le mauvais temps, par le grand hiver de 1648-1649, par les conséquences de l’été pluvieux et frais de 1649… et par la guerre civile. L’historien américain Roger Bigelow Merriman1 recense six révolutions contemporaines en Europe occidentale pour les années 1640-1650, en Catalogne, Portugal, à Naples, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas. Certes, ces six révolutions, politiques, n’ont absolument pas de dénominateur commun météorologique. Mais le prix élevé du froment et
donc du pain, de 1648 à 1650-1651, aiguise le mécontentement populaire en France et en Grande- Bretagne, ainsi qu’en Allemagne : dans la Hesse, région frappée de pluies abondantes au printemps et en été, saisons au cours desquelles seront donc diminuées les récoltes céréalières, lors du triennat 1648/49/50.
Survient, phase minimale ou nulle des taches solaires, le Minimum de Maunder (1645-1715). Les météorologues, comme Luterbacher, ont insisté récemment sur la notion de Late Maunder Minimum, de 1675 à 1715, plus convaincante pour la recherche. Ce Late Minimum, tardif en effet, ne concerne donc pas la série d’étés chauds des années 1660. S’il y a bien une famine française en 1661, année de l’avènement de Louis XIV, elle est due essentiellement à l’excès de pluie, car l’année 1661 par ailleurs, en tant que telle, est relativement tiède.
Pour le « reste », post-1661, de ces années 1660, on note de grosses récoltes ensoleillées ; elles feront dire à Mme de Sévigné : « Je crie famine sur un tas de grain », car le prix du blé ayant baissé par tant d’abondance, les trésoreries des fermiers de la Dame (vendeurs) sont victimes de ces cours céréaliers trop dérisoires. Lors du grand incendie de Londres, en l’été brûlant de 1666, Samuel Peppys pourra affirmer : « Tout était combustible (parce que desséché), même les pierres ». L’été 1675, en revanche, est
notablement froid et pourri, alors que les années 1676 à 1687, en leur ensemble, sont maintes fois réchauffées (voir M. Lachiver1 et la série des températures annuelles anglaises de Cordon Manley ainsi que Mike Hulme2). Il y a même du fait de ces chaleurs un léger rétrécissement des glaciers alpins : le fameux « rognon » rocheux de Grindelwald est momentanément découvert peu après 1685. Les années 1684 (paix de Ratisbonne) et 1685 (révocation de l’édit de Nantes), millésimes de belles récoltes et de bas prix du grain, voient Louis XIV, avec ses grosses armées (facilement nourries de pain bon marché), en position de force au cœur de l’Europe.