Les efforts d'approfondissement
Les efforts d’approfondissement
Les travaux de géographie culturelle se multiplient dans tous les pays au cours des années 1930, 1940 et 1950. Ils ouvrent de nouvelles pistes, mais sans que l’inspiration initiale du domaine soit remise en cause.
Culture et techniques d’encadrement
Pierre Gourou (1902-2001) applique, dans les années 1930, les démarches de l’école vidalienne au delta du fleuve Rouge, au Tonkin (Gourou, 1936). Il décrit les genres de vie et souligne le rôle du riz, et des techniques qui lui sont liées, dans la vie des paysans vietnamiens. Mais la réussite d’un système qui permet l’accumulation de hautes densités dans un milieu difficile a d’autres causes.Pierre Gourou est fasciné par la perfection de l’organisation sociale des villages du delta. Les disciplines indispensables au contrôle de l’eau sont assurées à l’échelle locale par des institutions efficaces : la famille d’abord, et la communauté dans son ensemble.
De telles observations sont importantes. Elles modifient le sens et la portée de l’analyses des genres de vie : ceux-ci ne traduisent pas seulement l’effort d’adaptation des groupes aux milieux locaux ; ils reposent sur des formes spécifiques de relations entre les individus et entre les cellules élémentaires. La culture cesse de s’analyser simplement en termes de relations hommes/milieux. Elle devient une variable autonome, impose à ceux qui en sont porteurs la recherche de certains types de solutions plutôt que d’autres, et transcende les limites des milieux naturels. Pierre Gourou travaille, à partir de la Seconde Guerre mondiale, dans le monde africain. Les cartes de densités y révèlent de surprenants contrastes. L’accumulation des hommes en certains lieux plutôt qu’en d’autres ne reflète pas les aptitudes naturelles des milieux. Elle exprime l’inégale capacité d’organisation des groupes. Pierre Gourou en vient en parler de déterminisme de culture : les termes classiques de l’interprétation géographique sont inversés (Gourou, 1947 ; 1990).
Les géographes sont amenés, en Afrique en particulier, à s’inspirer des techniques d’analyse mises en œuvre par les ethnographes, avec lesquels ils coopèrent souvent sur le terrain. Les travaux qu’ils publient gagnent, à ces multiples interfé¬rences, une densité et une profondeur qui font leur charme (Pélissier, 1966 ; Gallais, 1967 ; 1984 ; 1989 ; Pourtier, 1989).
Un anthropologue belge, Jacques Maquet, démonte la mécanique des réseaux de relations et de pouvoir dans l’admirable tableau qu’il dresse de l’Afrique en 1970. Les recherches sur les techniques d’encadrement et leurs racines culturelles se précisent au cours de ces années (Gourou, 1973).
La permanence souvent remarquable de certains traits de paysage, dans le domaine rural en particulier, était admise dès la fin du xix siècle. De là à les imaginer stables sur de très longues périodes, à l’abri de l’histoire, si l’on peut dire, il n’y avait qu’un pas que beaucoup avaient franchi à la suite de Meitzen. Les interprétations plus prudentes de Marc Bloch ne s’étaient pas encore imposées.
Roger Dion souligne dès 1946 la part de l’histoire dans l’explication de l’habitat rural du Bassin parisien. Anneliese Krenzlin montre, à la fin des années 1940, que la mise en place des openfields est parfaitement datable (Krenzlin, 1962). Elle commence en Allemagne à partir du viiie ou du IXe siècle, un peu plus tard en France. Les bocages s’étendent et se structurent, dans l’Ouest de la France, à partir de la Renaissance, comme le Dr. Merle (1958) le montre en Vendée, et le mouvement ne prend fin en Bretagne qu’en plein xixe siècle.
Il arrive, à certains moments, qu’une société soit porteuse de solutions spécifiques, mais dans d’autres cas, les limites des traits culturels sont indifférentes aux frontières des groupes linguistiques et historiques. La culture est plus complexe qu’on ne l’imaginait : elle varie dans le temps, et certaines de ses manifestations diffèrent d’une partie à l’autre d’aires que l’on aurait tendance à percevoir comme homogènes parce que ceux qui les habitent ont le sentiment d’appartenir à une même communauté.
La prise en compte des représentations
Le parti positiviste détournait au début du siècle les géographes des représentations — même lorsqu’ils y prêtaient personnellement une grande attention par suite de leurs convictions philosophiques ou de leur foi. Il était cependant difficile d’ignorer les signes visibles des comportements religieux : en pays chrétien, le paysage est ponctué d’églises, de calvaires, de croix, etc.
Les géographes qui se soucient des réalités culturelles accordent une attention croissante aux faits religieux, mais hésitent à traiter de leur influence sur les comportements et sur les échelles de préférence qu’ils instituent. Deffontaines envisage ainsi les faits religieux de l’extérieur (Deffontaines, 1948). Il ne se penche jamais sur la foi et les dogmes, sur le sens qu’ils donnent au cosmos, à la nature, à la vie, à la société et à la mort, et sur l’anxiété existentielle à laquelle ils essaient d’apporter une réponse.
Une évolution s’esquisse dans les années suivantes. Xavier de Planhol part de la hiérarchie des genres de vie instituée par le Coran lorsqu’il explore les fonde¬ments religieux de la géographie du monde islamique (1957) : il convient de vivre en ville pour satisfaire pleinement à l’obligation de prier en public cinq fois par jour, et plus particulièrement le vendredi. Quelques années plus tard, David Sopher (1967) s’appuie sur les résultats de la sociologie et de l’histoire religieuses et s’attache à définir les systèmes religieux, et leur base géographique. Il innove en s’attachant aux faits d’organisation religieuse.
Là comme dans d’autres domaines, les géographes apprennent à s’attaquer aux réalités sociales que la culture explique. Ils hésitent encore à interroger la logique des comportements, hors des cas simples de valorisation de certains genres de vie ou de prohibitions alimentaires.
Vidéo : Les efforts d’approfondissement
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