L'éventail des illusion
L’éventail des illusion
À la fin août 2005, « Katrina » l’un des ouragans les plus puissants de l’histoire a frappé le sud-est des Etats-Unis provoquant plusieurs milliers de morts1. Un an auparavant, au cours du mois de septembre 2004, deux cyclones tropicaux (Ivan et Jeanne) ont frappé certaines îles de la mer des Caraïbes et du golfe du Mexique, dont Haïti et Cuba, et ravagé une partie de la Floride et de la Louisiane, aux États-Unis, provoquant la mort de plus de 2 000 personnes, essentiellement sur l’île d’Haïti. Les habitants de cette région du monde sont pourtant familiarisés avec les cyclones.
Tout autour du globe on utilise des mots différents pour désigner le même type de phénomène : « cyclone » est utilisé dans l’océan Pacifique et dans le sud-ouest de l’océan Indien (cyclone vient d’un mot grec qui signifie « cercle » car la dépression est tourbillonnaire). On dit « hurricane » ou « ouragan » dans l’Atlantique-Nord et la mer des Caraïbes (ces mots proviennent de l’espagnol d’origine caraïbe huracán, tornade). « Typhoon » est d’usage en Asie ; ce mot provient du chinois t’aifong, grand vent.
exclusivement féminins. Certaines organisations féministes ayant fait valoir que les hommes aussi peuvent avoir des comportements imprévisibles et désastreux…
Ces violentes perturbations se forment toujours dans la zone intertropicale, dans des conditions relativement prévisibles (ce qui est beaucoup plus difficile à anticiper est leur trajectoire, leur durée de vie et leur intensité maximale). Pour que se forme et se développe un cyclone, il faut que la température des eaux marines atteigne au moins 27 °C sur une dizaine de mètres de profondeur au moins. Cette circonstance provoque un réchauffement des couches basses de l’atmosphère, donc des ascendances ; puis, par condensation, des nébulosités très importantes. Il s’agit de nuages de type cumulo-nimbus, qui peuvent atteindre 15 000 m et au sein desquels les vents sont d’une violence exceptionnelle. Ils sont disposés en couronne, autour d’une zone puissamment dépressionnaire : 1’ « œil » du cyclone. Sous l’effet de la force de Coriolis, le « mur de l’œil », la couronne principale et les branches en spirale de la couronne extérieure sont animés d’un mouvement tourbillonnaire. Dans la couronne extérieure, les vents fortement accélérés peuvent dépasser 300 km/h. Certains grands cyclones mesurent 1 000 km de diamètre. La taille de l’œil, paradoxalement calme et qui se réduit avec la formation du cyclone, varie entre 10 et 100 km. Les cyclones se renforcent au-dessus des eaux chaudes et perdent de leur puissance à l’intérieur des terres. Ils se déplacent en moyenne à la vitesse de 30 km/h.
Il existe cinq catégories d’ouragans sur l’échelle dite « de Saffir-Simpson ». La catégorie 1 désigne les « petits » ouragans, dont les vents s’échelonnent entre 119 et 153 km/h ; le niveau de la mer monte de 1 m à 1,70 m, inondant les routes côtières. Les habitations ne sont que très légèrement menacées. La catégorie 2 (ouragans « moyens ») rassemble les perturbations caractérisées par des vents de 154 à 177 km/h, avec une montée du niveau de la mer plusieurs heures avant le passage de l’œil. La végétation subit d’importants dommages, ainsi que les mobile-homes non arrimés, les petits bateaux au mouillage, certaines toitures, portes et fenêtres. La vitesse des vents dans la catégorie 3 (ouragans intenses), dont Jeanne faisait partie, peut atteindre 209 km/h, détruisant de nombreuses habitations côtières, des bateaux, etc. Les terrains situés à 1,5 m au-dessus du niveau de la mer sont inondés. Les mobile-homes sont détruits. Dans la catégorie 4 (ouragans extrêmes), les vents peuvent souffler jusqu’à 249 km/h, et le niveau de la mer s’élever de 5,60 m ! Les terrains situés à 3 m au-dessus du niveau de la mer sont inondés, des toitures arrachées, des murs de protection détruits.
La catégorie 5 est celle des ouragans « catastrophiques » : de nombreuses toitures de résidences ou d’établissements industriels sont arrachées, beaucoup de bâtiments sont détruits ou emportés, partout les vitres volent en éclats.
De fortes inondations dans les zones côtières rendent des évacuations massives nécessaires. Dans cette région à hauts risques, ces ouragans sont pourtant rares : Andrew en 1992, Gilbert en 1988 (qui frôla les États-Unis), Camille en 1969 et l’ouragan du « Labor Day » de 1935. Katrinafut le quatrième ouragan de catégorie 5 à frapper les États-Unis en un siècle, mais il était déclassé en catégorie 4 lorsqu’il atteignit la Nouvelle-Orléans.
D’Haïti à cuba
En vérité, c’est du côté de l’infinie pauvreté des Haïtiens qu’il faut chercher : pas ou peu d’électricité et pas de réchauds à gaz. Que faire dans ces conditions pour cuire les aliments ? Tout simplement du charbon de bois, comme en France à l’époque médiévale. Dans les campagnes, le charbon de bois sert, d’une part, à satisfaire d’élémentaires besoins en énergie et, d’autre part, il est revendu aux « citadins ». Mais cela entraîne une déforestation désastreuse, et comme le couvert végétal manque, l’érosion dénude les sols. Les eaux ruissellent alors et s’accumulent dans les fonds, engloutissant les fragiles habitations, recouvrant les pistes et détruisant les ponts. L’eau potable vient à manquer et c’est l’enchaînement des horreurs : épidémies, disette, pillage de l’aide humanitaire par les « chimères » de l’ex-dictateur Aristide, ces clones sanglants des « tontons macoutes ». Par ailleurs, l’administration actuelle, corrompue et incapable, n’a pris aucune disposition pour préparer les misérables Haïtiens à lutter contre la tempête.
Les Etats-Unis, qui investissent plus volontiers dans le capital tout court que dans le capital social, et où 1’ « accès aux services du gouvernement » est loin d’être universel, ont déploré plus de 100 morts lors des seuls passages d’Ivan et de Jeanne, alors que les six ouragans majeurs qui ont frappé Cuba entre 1996 et 2002, «n’ont provoqué « que » 16 morts ». Oxfam International analyse ainsi ce paradoxe, mettant en avant des « caractéristiques immatérielles », « (…) telles que la mobilisation des communautés, la solidarité et une éducation des enfants et de la société à des risques qui forment le fond de la vie caraïbe ».
C’est une leçon de solidarité que nous donne ce pays, pourtant exsangue depuis le blocus des Etats-Unis et la perte de l’aide soviétique : la puissance de l’argent ne fait pas tout, et surtout pas grand-chose pour les êtres humains ; songeons aux morts de Floride, à ceux que causa Katrina à la fin août et en septembre 2005, et surtout au désastre social révélé par ce cyclone.
Katrina
Le lundi 29 août, Katrina dévaste la Lousiane, détruisant des levées de terre et des digues, et provoquant une inondation catastrophique : la majeure partie de la ville de la Nouvelle-Orléans, sous le niveau de la mer, est touchée. La situation rappelle l’inondation provoquée par le Mississippi qui, en 1927, avait déjà détruit digues et levées de terre. La zone sinistrée (233 000 km2), atteint presque la superficie de la Grande-Bretagne. Les experts considèrent que le coût total de la catastrophe pourrait s’élever à 100 milliards de dollars. Il s’agit de la plus importante catastrophe naturelle qu’aient connue les États-Unis
Le 31 août, l’ordre d’évacuation est répété. Mais entre-temps, des pillages sporadiques ont été observés. Il s’est produit qu’ils aient été accompagnés de violences. Des coups de feu ont ainsi été échangés entre une minorité de pillards, la police et la Garde nationale. Des incendies ont rendu les évacuations très difficiles, sinon impossibles dans certains cas. De nombreuses interviews ont montré que chacun s’accordait pour distinguer la recherche de nourriture à tout prix mais dans un calme relatif, et les pillages de propriétés privées. Saura-t-on un jour si les 28 000 militaires envoyés pour rétablir l’ordre n’auraient pas été plus utiles employés à d’autres tâches ? Et si, d’une certaine manière, les « pillages » n’ont pas servi d’alibi à l’incapacité notoire des autorités au cours des premiers jours de la crise ? On retiendra en tout cas les inqualifiables appels de Kathleen Blanco, gouverneur « démocrate » de la Louisane, invitant les gardes nationaux « qui ont appris à tuer en Irak », à utiliser leurs fusils M6 contre les « émeu- tiers » et les « pillards » (1er septembre 2005).
Le colosse américain aura donc vacillé, sous un ouragan de plus, et le plus faible des cyclones de catégorie 5 qui aient ravagé cette région. Il est vrai que Katrina a frappé une zone à la fois très urbanisée et fragilisée par la pauvreté : une simple tempête tropicale frappant une ville peut être bien plus meurtrière qu’un ouragan dévastant une région côtière moins densément habitée.
Il reste le désastreux bilan politique que l’on sait : la non-consolidation des digues et levées de terre aurait coûté dix fois moins cher que ce que coûtera l’inondation. Sur ce point, il était prévu des travaux à hauteur de 14 milliards de dollars, qui furent ramenés par le président Bush à 1,2 milliard, et encore réduits ultérieurement… Ainsi, les retards à prendre les mesures d’urgence nécessaires ont été très mal vécus par tous les sinistrés qui furent littéralement abandonnés pendant les trois premiers jours. Puis des manques patents se sont fait jour, comme la pénurie de moyens aériens et militaires : les commentateurs feront observer que nombre d’hélicoptères auraient été plus utiles à la Nouvelle-Orléans qu’en Irak, et qu’une partie de la
Garde nationale de Louisiane était stationnée dans la banlieue de Bagdad…
Par ailleurs, les hésitations, et les volte-face à propos de l’aide humanitaire proposée par de nombreux pays, dont l’Arabie Saoudite et les pays frappés par le Tsunami ont choqué profondément, non seulement les donateurs, mais les sinistrés. A ce propos, Condoleeza Rice, ministre des Affaires étrangères1, tentera maladroitement d’expliquer que cet élan de générosité est un signe de reconnaissance pour l’action bienfaitrice des États-Unis à travers le monde. De ce point de vue, on peut s’interroger sur le sens de l’aide proposée par le gouvernement cubain… Il reste enfin à s’interroger sur l’absence de plan d’évacuation pour ceux qui n’avaient pas de moyens privés pour sortir de la ville, ni d’endroit où se réfugier. Car il faut savoir que 44 % des enfants de la Nouvelle-Orléans vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que pour les 70 % de Noirs qui composent la population de la ville, le degré de misère est trois fois plus élevé que chez les Blancs.
En ce mois de septembre 2005, le « libéralisme » du président Bush aura frappé au moins aussi fort que Katrina. La réduction des dépenses publiques peut être une arme de destruction massive… En effet, le bilan humain est calamiteux. Il est non seulement clair que les Noirs pauvres ont été les plus touchés, et que de nombreux cas de priorités d’évacuation accordées aux Blancs ont été constatés. Mais il est également avéré qu’une partie de la presse a pratiqué l’information de manière raciste. Ainsi un Noir sortant d’une épicerie avec des denrées sous le bras et de l’eau jusqu’au ventre est un looter, un pillard ; tandis qu’un couple de jeunes Blancs dans la même situation est « en quête de nourriture »2. Il est également apparu que le nombre et l’ampleur des « pillages » ont été exagérés. Il eût été plus honnête de dire qu’ils étaient inévitables au bout de plusieurs jours sans aucune aide aux populations sinistrées. Inversement, la presse a reçu des « conseils » : ne pas montrer de cadavres afin de minimiser dans le reste de l’opinion publique l’ampleur de la catastrophe et de l’inopérance des responsables.
Évidemment, on objectera que Katrina fut un cyclone cataclysmique, contre lequel même le pays le plus puissant du monde ne pouvait rien. Ce serait oublier des faits déjà évoqués : l’évacuation réussie de 2 millions de personnes à Cuba, lors du passage du cyclone Ivan (de même catégorie 4 que Katrina), dont 100 000 personnes au cours des trois premières heures. Quant à la misère, elle n’explique pas tout, et surtout pas le désastre de la Nouvelle- Orléans.
Revenons sur la dignité, la solidarité et le sens de la collectivité qu’ont manifestés les populations touchées par le Tsunami d’Asie du Sud. Nous ferions bien d’y réfléchir parce que, bien au-delà des effets de Katrina, c’est-à-dire partout ailleurs dans le monde, l’affaiblissement des valeurs collectives de solidarité et d’entraide, ainsi que son corrélat politique, la destruction des services publics, pourraient dangereusement aggraver les effets du réchauffement climatique prédit par les experts du GIEC. Et ce, d’autant plus, que l’urgence devient grande d’agir autrement que sur le mode de l’énumération des mesures souhaitables et bien souvent illusoires. Il est donc temps de faire le point sur quelques chimères à la mode.