L'avortement de la crise de 1839-1840
Pourquoi la crise de 1839-1840 a-t-elle « avorté » ?
Entre les deux révolutions de 1830 et 1848, l’épisode de 1839-1840 offre des conditions agro-météorologiques elles aussi défavorables et qui auraient pu conduire dans le cadre d’un « été rouge » (J.-P. Caron) à une situation quasi révolutionnaire. Mais les répercussions proprement politiques seront ici différées ; et, pour filer la métaphore astronomique, on peut parler d’un « avortement d’une étoile sombre ».
Deux études importantes sur les émeutes de subsistance liées à de mauvaises récoltes, souvent consécutives aux conditions météorologiques, ont établi pour le xixe siècle une chronologie significative. Elles font apparaître plusieurs crises météo-céréalo- déficitaires dans la première moitié du xixème siècle : 1811,1816-1817 (post-Tambora), 1830,1846-1848… – et 1839-1840, crise avortée. Celle-ci se traduit par des émeutes de subsistance, de septembre 1839 à mai 1840, notamment dans l’ouest et le centre de la France ; elles réagissent au bas rendement fro- mental, le plus bas connu entre 1835 et 1845 ; ainsi qu’à la hausse des prix frumentaires et à la menace de disette consécutive. La cause de ces mauvaise rendements est pour l’essentiel météorologique, tant en Angleterre (s’agissant de l’an 1838 ; et puis va sévir ensuite une nouvelle augmentation des prix du grain britannique pendant l’année post-récolte [APR] 1838-1839), je disais donc : tant en Angleterre qu’en France, car dans l’Hexagone il y a le rude hiver de 1837-1838, puis un printemps froid et gélif ; été 38 frais ; enfin, après l’hiver 1838-1839 (un peu moins sévère, lui, que le précédent), vient un printemps 1839 derechef tardif et un été 39 instable, froid, avec de mauvaises moissons. L’année 39, par ailleurs, est l’une des plus arrosées qu’on ait connues entre 1830 et 1846 aux deux rivages de la Manche. Comme le confirme aussi la chronologie des inondations : fortes crues en février et mars 1839. Bref, se succèdent deux à trois mauvaises récoltes imputables au classique cold wet complex en Angleterre ; ainsi qu’une série de médiocres moissons et une très mauvaise récolte en France en 1839 ; elles produisent un mouvement de cherté des grains avec des émeutes bien caractérisées, des grèves aussi, lors du printemps 1840. Ces troubles se prolongent jusqu’en 1841, année de 1’« été rouge », bien que la situation céréalière se soit améliorée à partir de 1840. On peut même parler, pour le coup, d’une agitation politique « décalée », à retardement. Sur un mode plus global, il apparaît que les émeutes de subsistance ont non point causé, absolument pas, mais accompagné, « mis en musique » les trois révolutions importantes de la période (1789, 1830, 1848). Et si toutes les crises de subsistance ne provoquent pas de révolution, il apparaît pourtant que la France, à la différence d’autres pays, se comporte comme une caisse de résonance révolutionnaire, une « peau de tambour», pour des raisons qui tiennent peut-être à la centralisation étatique ; les agitations les plus diverses, périphériques et centrales, se répercutent et s’amplifient avec une facilité désarmante, jusqu’au cœur (parisien) du système.